Élise BUSSIÈRE, Mal de mère, Mols, 2018, 128 p., 15,90 €, ISBN : 978-2-87402-238-8
On le scande depuis plusieurs décennies : « La maternité doit être un choix libre et réfléchi. » Certes, mais avoir le choix, décider de devenir mère, se penser mère, entre immanence et liberté morale, nager dans les courants des « avoir un enfant, c’est formidable ! », du sacro-saint mythe de la bonne mère et des « cela va de soi » prétendument maternels ; choisir de donner la vie, se transformer en une jeune accouchée et sombrer, être engloutie… Un fait qui touche à l’indicible, une parole qui semble inaudible que le deuxième roman d’Élise Bussière libère.
Le récit s’ouvre sur une coupure de presse du Miami News : Elizabeth Jones a disparu et on ne l’a pas retrouvée. Elle est probablement décédée. Derrière elle, elle laisse une enfant d’un an et demi, son mari, sa famille. Iliana, sa petite fille, doit alors grandir sans sa mère, tout en s’imaginant cette femme, fantasmant sa vie et les raisons de sa disparition. Jusqu’au jour où, vingt ans plus tard, elle reçoit le carnet secret de sa mère, des mots qui, des années durant lui étaient adressés sans jamais lui être envoyés. Un surgissement maternel qui lui impose de réécrire sa vie, une incursion dans les entrailles de l’intime qui révèlera les souffrances de l’une et de l’autre, le poids de l’absence, les incompréhensions mais une histoire de désacralisation et de réparation.
Dans une polyphonie narrative diachronique, les voix de la mère et de la fille s’alternent, se répondent, s’alimentent, se situent, pour l’une comme pour l’autre, sur la brèche du « moi ». Le style d’Élise Bussière est ramassé, sans pathos. La simplicité apparente de ses mots reconstruit pourtant, dans une progression presque échographique, le lien entre une mère défaillante et sa fille tant aimée mais abandonnée.
Les différents personnages ont été taillés sur mesure pour coller à la thématique et aborder diverses ramifications de la maternité. On y trouve, entre autres, des êtres déracinés, des amies jouant les conseillères d’éducation, des représentants de la pression sociale de la mère parfaite, des actants démontrant ce rapport au « devenir mère » construit sur sa propre référence maternelle. Une élaboration qui prouve que la romancière maîtrise son sujet mais qui déforce un tant soit peu la construction du récit, notamment en situant l’action aux États-Unis, une spatialité justifiée par ce choix du personnage d’Iliana de vendre ses ovules – réponse à une énième variation de l’épineuse problématique femme-mère-enfant –, mais qui trouve peu d’autres motivations et exploitations.
« Depuis ta naissance, je n’étais que l’ombre de moi-même, vidée, sans équilibre. Pour t’offrir mieux que cette image, j’ai préféré disparaître ». Quand une mère largue les amarres, passe à l’acte, coupe le fil de sa vie pour se reconnecter à elle-même, il est question d’abandon, de ravages, d’absence mais également d’existence à construire et à reconstruire, de puzzle à reconstituer, de rôle à octroyer. Mal de mère sonde un lieu qui dérange, aborde un tabou et livre une fiction qui distingue l’expérience et l’objet, la maternité et l’enfant ; une mise en lumière d’un échec inavouable.