Léo BEECKMAN, Dos au public, Weyrich, 2018, 128 p., 13 €, ISBN : 9782874894701
Léo Beeckman était bien connu des auteurs et des professionnels du livre en Communauté française. Durant des années, il a œuvré au rayonnement de nos Lettres, et il s’est fait apprécier comme homme mais aussi comme auteur, principalement pour ses Poèmes quantiques parus en 2017. Il a aussi laissé un roman, publié aujourd’hui, quelques mois après son décès.
Arthur Degroot devrait être un héros sans histoires. Né dans une famille gantoise d’origine modeste, il a dix-huit ans lors de l’Expo universelle de Bruxelles de 1958 et il reçoit comme il était d’usage le courrier l’informant de l’obligation d’effectuer son service militaire. Sur la fiche d’informations personnelles qu’il a remplie, il a mentionné ses aptitudes modestes de guitariste et de chanteur et ces données ont été repérées par un sergent qui le convoque dès son incorporation. La proposition qu’il lui formule, qui prend les allures d’un ordre, c’est de rejoindre le petit orchestre de jazz qui anime les soirées du mess de la caserne. En échange de quoi il sera dispensé de corvées toute la durée de son service. En effet, le contrebassiste vient d’être démobilisé et le jazz sans contrebasse, cela ne ressemble plus à rien. Peu porté à l’audace et ignorant tout de cet instrument lointain cousin de la guitare, Arthur accepte tout de même de rencontrer l’équipe et il tombe sous le charme de l’instrument en qui il trouve une douceur qui lui ressemble. « C’était comme baigner dans un liquide chaud et entendre le battement de son cœur ».
En acceptant un peu malgré lui de prendre place dans l’orchestre, Arthur ne sait pas qu’il prend une décision dont il tirera tout le bénéfice. En effet, en plus de donner un tour inattendu et plaisant à son service militaire, ce choix l’incorpore avant tout dans un groupe d’amis. Mais lors de sa première prestation, il est paralysé de peur face au public et ce n’est qu’en lui tournant le dos qu’il parvient à accompagner ses collègues. Fort de cette expérience saluée par le public, il renouvelle de soir en soir le même pivot vers le fond de la scène et ce choix participe de son identité forte de musicien.
Entretemps, il est fiancé et son service terminé, il devient fonctionnaire mais sombre peu à peu dans la dépression. Son épouse, qui l’a connu musicien, fait appel aux amis qui répondent présents et lui offrent la chaleur de leur amitié et l’occasion de retrouver sa contrebasse. Parallèlement, il entreprend une thérapie au travers de laquelle il découvrira peu à peu les raisons de son désir d’effacement, de sa tristesse. Jusqu’au sursaut qui inverse le cours des choses et lui rend goût à la vie.
Voilà un roman un rien bonhomme qui célèbre rondement les vertus de la musique et de l’amitié. Témoin d’une époque qui n’est plus, il en restitue l’ambiance sans prétention mais avec une justesse sans faille. Riche en anecdotes et rédigé sur un mode bon enfant, dans une écriture fluide et ponctuée d’humour, voici une lecture qui revigore et nous fait regretter plus encore un auteur qui devait sans doute avoir d’autres histoires en réserve.
Thierry Detienne