Faux coupable

Sarah BERTI, Avant les tournesols, Luce Wilquin, 2018, 305 p., 21 €, ISBN : 978-2-88253-541-2

berti avant les tournesols.jpgSarah Berti n’en est pas à son premier polar au sein d’une œuvre littéraire par ailleurs abondante, mais la Rebecquoise consent cette fois une infidélité à son terroir brabançon ainsi qu’à Tiziana Dallavera, l’enquêtrice favorite qui partage ses propres origines transalpines. Nous voila donc dans la région de Mons, à affronter la haine majuscule et inaltérable de Smeralda – jeune femme d’une petite vingtaine d’années – envers Antoine Jankovic, l’homme qui, en 2003, a été reconnu comme l’assassin de sa mère, Madeleine Auriol (alias Lena Orioles). Une mère artiste, pleine d’originalité, de sensualité et de joie de vivre, admiratrice inconditionnelle de Vincent Van Gogh dont elle entretenait religieusement la mémoire en tant que guide de la ville de Mons. L’affaire s’était avérée d’autant plus claire et vite résolue que l’arme du crime – une statuette – allait être retrouvée dans le jardin de Jankovic qui lui-même reconnaîtrait sa culpabilité ainsi que son mobile : le refus de Lena de poursuivre leur liaison malgré ses supplications. Et voila que quinze ans plus tard, coup de tonnerre, un témoignage venu d’ailleurs semble innocenter Jankovic…

C’est donc aujourd’hui et sur ces bases que démarre un roman choral où autour de Smeralda (obstinée pour longtemps dans sa haine et soudain affublée d’un bébé adventice, tombé comme un fruit mûr de son déni de grossesse) de nombreux intervenants jouent leurs partitions, dont certaines remontent à l’époque du crime. Cela va de sa petite sœur Paloma à son frère aîné Solal, aux enquêteurs anciens et actuels –dont le très empressé Lukas Exopoulos – à un témoin surprise, à la famille Jankovic, à la voisine bougonne qui, à l’époque découvrit le cadavre. Sans oublier Victor Ensler, le puissant patron de Lena, spécialiste révéré de Van Gogh, ou encore le mystérieux docteur Ti-ShuanWu…

Alors que Smeralda poursuit sa recherche d’une vérité nouvelle à laquelle il lui faut bien faire face, c’est dans son rôle d’animatrice de cours de danse et de spectacles chorégraphiques pour enfants au sein d’un centre culturel de Mons qu’elle donne le meilleur d’elle-même et parvient à oublier un moment l’énigme qui domine son existence. Jusqu’à ce que…

C’est un vrai polar subtil et bien ficelé que la baguette de Sarah Berti orchestre à travers ce concert de voix. Pourtant sous l’angoisse ambiante, sous les comportements parfois déconcertants, voire aberrants, de Smeralda comme sous la pesante réalité du crime, pointe aussi, et presque de toutes parts, un appel à la vie. Ce qui tient l’ouvrage à l’écart d’une tendance, entretenue notamment par certains polars féminins, à accumuler, comme par défi, les plus noires horreurs au prix de la vraisemblance et surtout d’une cohérence psychologique mise à mal par des distorsions hautement acrobatiques.

Au fait, question subsidiaire à se poser ou non : serait-il possible que Van Gogh ait pu, dans sa maison du marais de Cuesmes, exécuter, et cela bien « avant les tournesols », une œuvre encore bien cachée et susceptible d’attiser les convoitises ?

Ghislain Cotton