Maîtriser le jeu

Carmelo VIRONE, Battre les cartes, MaelstrÖm, 2018, 116 p., 14 €, ISBN : 978-2-87505-304-6

virone battre les cartes.jpgC’est un message de vie que nous adresse en quelques vers Carmelo Virone, à la première page de son recueil de nouvelles Battre les cartes. Message d’amour aussi puisque le sang y est chaud et le cœur haut. C’est d’un élan tournoyant que se suivent ces onze récits, si différents les uns des autres qu’ils créent chaque fois la surprise, au point qu’on pourrait se demander s’il faut suivre une piste ou se laisser prendre au hasard de la lecture. La continuité existe bel et bien, dans le ton, on y reviendra, et dans cet ensemble cohérent d’humour et de tendresse que chacun des textes illustre à sa manière. À y regarder de plus près, on découvre entre eux un système de répons.

De toute évidence, le premier récit et le dernier se font écho. L’enfance n’en est pas le seul motif. Que serait-elle en effet sans le regard sensible de celui qui se souvient et qui, prenant ses distances à l’égard de Proust soi-même, détaille sa madeleine personnelle ? Le premier, « Présent parfait », superpose les souvenirs de différents âges et de différentes natures. Le plus prégnant se compose de sonorité, Schumann au piano, et de saveur, celle du moscato bianco, ce grain de raisin blanc donné par la mère à l’enfant un peu perdu à la petite école. Le dernier, « Battre les cartes », qui donne son titre au recueil, se réfère à l’ouïe mais aussi à la vue : le battement est celui de la main paternelle tapant sa meilleure carte sur la table et l’une des images évoquées sert de couverture au volume : la photographie d’un artiste chinois représentant quatre jeunes hommes dans une attitude figée. Le narrateur de cette nouvelle relate une expérience particulière. Il s’imagine pouvoir pénétrer dans un tableau, sa reproduction ou son équivalent. Aventure inédite qui lui permet d’analyser l’image de l’intérieur, se situant par effraction au cœur de l’action représentée. Dont celle de joueurs de cartes, qu’ils soient de Cézanne, de ce photographe chinois en première de couverture ou encore d’autres collections. En apparence un mystère :

Comment trouver quand on ne sait pas ce qu’on cherche ?

Surprendre est le maître-mot de part et d’autre, mais la familiarité latente est la plus forte et, de l’anguille fugitive de la rivière à la table de cuisine de l’enfance, il n’y a qu’une page.

Les neuf nouvelles entre ces deux seuils font partie du même jeu, même si elles se distinguent du cadre de l’intime. Carmelo Virone ne cesse de battre les cartes que pour mieux les redistribuer. Un dessein commun les rassemble, la référence à la contrainte ou mieux à la fantaisie conduite. Qu’elles rendent ouvertement hommage à Georges Perec comme « Prêteur sur langage », ou moins directement à d’autres projets oulipiens, c’est toujours avec ce sens de l’humour signalé dès le début. Non que la dureté de la réalité sociale, économique ou politique ne soit présente, comme dans « Le joueur de flûte », une parodie cinglante des frères Grimm, ou d’autres textes.

La liberté de pasticher ou de citer est d’ailleurs revendiquée par l’auteur, dans une  page qui clôture le recueil : du formalisme qui a un sens profond.

Jeannine Paque