Meurtres au chœur de Venise…

Claude RAUCY, Le maître de San Marco, M.E.O., 2018, 80 p., 12 € / ePub : 7.99 €, ISBN : 978-2-8070-0162-6

Pouvait-on trouver meilleur romancier que Claude Raucy pour redonner vie littéraire au compositeur flamand Adriaan Willaert ? Le récit qu’il nous en donne avec Le maître de San Marco s’inscrit dans la lignée des romans qui, sans crier gare, nous enseignent en nous divertissant. Au gré des péripéties d’une enquête  permettant de tirer au clair des morts suspectes parmi le chœur dont il est le chef à San Marco, nous apprendrons du musicien flamand la place privilégiée qu’il occupe dans la Sérénissime, mais aussi dans l’histoire de la musique de la Renaissance. Le roman commence tambour battant au Palais du Doge, Andrea Gritti. Ce dernier a convoqué le Flamand. Il s’inquiète de ces meurtres en série – les musiciens sont étranglés à l’aide d’une écharpe blanche, abandonnée sur les lieux du crime. Il s’indigne aussi que les enquêtes n’aboutissent pas avec assez de célérité à l’arrestation des coupables.

Sur cette trame, Raucy entrecroise les destins de différents protagonistes, tissant en dentelle serrée l’évocation des liens existant entre Flandre et Italie à l’époque, et cette concurrence entre les villes comme Bruges, Gand, Florence, Rome, Trieste, produisant une incessante émulation des arts. Se mêlent les personnages appartenant à l’Histoire et ceux issus de l’imagination du romancier. Apparaissent les noms de Savonarole, Maître du Monastère San Marco à Florence, « l’autre San Marco », et d’un de ses musiciens (fictifs), Giorgio Cecchi que le romancier dispose sur l’échiquier de son récit face à Bernardo Quintin et Leonardo Simoni, ou le chanteur Pietro Capon et la belle Marika de Haute Croix.

Ne dévoilons pas l’énigme des assassinats et de l’écharpe blanche : ce n’est là finalement que le procédé narratif qui donne à Raucy de belles occasions d’évoquer les fastes artistiques dont Venise était l’écrin et dont l’époque était le ferment : la musique bien sûr, omniprésente, et la peinture dont Titien et Lorenzo Lotto surgissant dans le roman au prétexte d’un portrait à réaliser du maître flamand (portrait qui ne sera pas exécuté). Les pérégrinations des deux enquêteurs à Trieste sont aussi l’occasion d’évoquer la figure de Paracelse (dont le nom complet est Bombastus von Hohenheim, nous apprend Raucy), qui mêle l’art de la médecine à la philosophie et à la théologie.

En publiant Le maître de San Marco, les éditions M.E.O., dont on ne dira jamais assez l’originalité, la qualité et la diversité, ont ajouté à leur catalogue un ouvrage dont la lecture nous laisse avides d’explorer les pistes dont ce faux roman policier éclaire les premiers pas. En refermant le roman, il nous tarde d’écouter la musique d’Adriaan Willaert (dont de nombreuses œuvres sont accessibles sur l’internet), de regarder les œuvres du Titien et de Lotto, mais surtout d’arpenter les rues de Venise où la magie et le sacré se nourrissent de tout ce qu’elle inspire, dont le mystère n’est pas la moindre part.

C’est à cela aussi, nous semble-t-il, que Claude Raucy nous a invités avec une jubilation non dissimulée.

Jean Jauniaux