Une unique pousse par foyer

Cécile MOUVET, Étendre ses branches sur le monde, Lansman, 2018, 40 p., 10€, ISBN : 978-2-8071-0194-4

Deux êtres s’aiment, s’enlacent, veulent fonder une famille. Un jour, on plante une graine dans le cocon familial. Quelques mois plus tard, naît le fruit de leur amour. D’autres pousses veulent également voir le jour, se bousculent dans le ventre de la terre, essaient de sortir leurs petites racines. Mais les Élagueurs ne voient pas leur venue d’un très bon œil. Trop de « mauvaises herbes » détruiraient tout. Il n’y aura pas assez d’eau pour toutes les nourrir. Une seule pousse par foyer, c’est tout ! Mais deux êtres s’aiment toujours et continuent de s’enlacer. Une nouvelle graine est plantée…

Lia et Méi sont sœurs. Elles jouent, rient, s’amusent comme tous les enfants du monde. Toutefois, seule Lia va à l’école. Méi reste à la maison ou chez une vieille voisine, à l’abri des regards. Personne ne doit connaître son existence. Officiellement, elle n’est rien. Elle est illégale. Les Élagueurs étaient pourtant bien formels : un enfant par foyer. Mais les parents de Méi et Lia n’ont pas respecté cette règle insensée. La loi est claire : ceux qui y dérogent sont punis. Et si on venait à apprendre l’existence de Méi ? Comment payer sa « faute » auprès du gouvernement quand on n’a pas un sou ? Et que se serait-il passé si on avait appliqué la loi ? Si Méi n’avait jamais vu le jour ? Si on empêchait les gens de s’aimer et s’enlacer ?

Dans cette pièce pour le jeune public, Cécile Mouvet revient sur la politique chinoise de l’enfant unique, qui n’a été abrogée qu’en 2015. Cette terrible loi avait été mise en place en 1979 pour contrôler les naissances sur le territoire de la Chine craintive d’une surpopulation. Avortements, stérilisations, pénalisations des parents qui avaient plus d’un enfant, non-reconnaissances des frères et sœurs… L’État n’y allait pas de main morte. Aujourd’hui, les foyers chinois peuvent avoir deux enfants.

« Ici, quand un jeune couple s’installe, il plante une jeune pousse de Nan-mou. Le Nan-mou, c’est un arbre incorruptible, pour élever une maison qui puisse durer toujours. Et le foyer grandit autour de cette pousse unique, pour que plus tard elle donne l’ombre qui rafraîchit, le tronc contre lequel s’appuyer, le feuillage qui réjouit l’œil. » À l’aide de cette belle métaphore de l’arbre que l’on plante et qui grandit, Cécile Mouvet aborde un sujet finalement assez méconnu des Occidentaux. L’écriture de ce texte est très imagée et peut faire appel, dans sa mise en scène, au théâtre d’ombre et d’objets – notamment pour convoquer sur scène les parents, les villageois, les arbres et les Élagueurs. L’auteure multiplie les points de vue et les narrations. Lia adulte raconte son histoire et celle de sa sœur. Elle évoque l’incompréhension d’une petite fille face à une sœur qui n’a pas les mêmes droits qu’elle. Les souvenirs et les fantômes du passé prennent forme. Méi, adulte à son tour, ne pourra prendre la parole qu’une fois son identité acceptée, ses racines libérées. Étendre ses branches sur le monde a reçu le Prix Annick Lansman, prix qui récompense un texte pouvant à la fois constituer la base d’un spectacle pour les publics de moins de 13 ans et participer au développement du plaisir de lire le théâtre à partir de 9/10 ans.

Émilie Gäbele