Anne ROTHSCHILD, Nous avons tant voyagé, Taillis Pré, 2018, 95 p., 13 €, ISBN : 978-2-87450135-4
Parmi les pistons de la poésie, les pulsions priment. De mort comprises. En amont, elles se forment, se compriment en pépites dans le corps et de cette mine s’extrait un trésor de mots sélectionnés avec soin (sens, son, respiration) pour les exposer et transmettre… en aval, à bout de souffle, au moment de rejoindre l’océan, le néant.
À l’origine du recueil Nous avons tant voyagé d’Anne Rothschild, ce qui en fonde la première partie, c’est l’histoire du peuple juif, la Shoah et toutes les guerres. Dans cette Histoire de l’humanité se fond la sienne, en minuscule quoique centrale comme pour chaque être humain. C’est le deuxième tiers du livre : l’enfance, le mariage, la naissance d’un enfant. En fin de parcours et de récit, troisième époque, ultime et testamentaire, c’est aujourd’hui qui importe.
La lente respiration des arbres
nous apprend à habiter l’instant
L’auteure a passé sa vie à chercher la paix. La paix en soi, la paix en soi-même et la paix sur place, sur Terre entre Israël et Palestine ; à travers sa création et aussi au service du musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris. La paix en soi est universelle : elle est la même, elle est unique dans la grande histoire, extime, et dans la petite, intime. Cependant,
La paix
Une colombe toujours en fuite…
Cette poursuite justifie le recueil d’Anne Rothschild. Ses textes sont d’inspiration biblique (la grande histoire en effet) et fusionnent avec l’actualité (la petite). Par exemple, celle des migrants.
La cohorte des enfants perdus
– tant de corps rejetés par l’étreinte des flots (…)
mêlant les eaux d’en bas à celles d’en haut
Dont il est noté en clé de lecture et fin d’ouvrage : « référence au Déluge qui inverse le processus de la Création où Dieu avait séparé les eaux d’en haut des eaux d’en bas. »
Fille de diplomate, elle aussi migrante et déracinée – Nous avons tant voyagé. À septante-cinq ans, la peintre et poétesse, remontant le chemin de l’origine, prend désormais acte que le poème sur le papier vient bel et bien de l’arbre. Alors deux fois, devant Dieu et devant les humains, dans ce recueil qui est un seul chant, Anne Rothschild exprime sa dernière volonté.
Quand mes saisons seront épuisées
je vous en prie
laissez-moi rejoindre mes arbres
Tito Dupret