Un coup de cœur du Carnet
La guerre de nos écrivains. Une chronique littéraire de 14-18, Volume composé par Laurence Boudart et Saskia Bursens, Avant-propos de Marc Quaghebeur, Préface de Laurence van Ypersele, Archives et Musée de la Littérature, Hors collection, 2018, 246 p., ISBN : 978-2-87168-087-1
Coup de cœur pour les différentes facettes du projet « Grande Guerre » des Archives et Musée de la Littérature. Tout au long des quatre années du centenaire de la Première guerre, les AML ont publié chaque mois, sur un site spécialement dédié, des archives d’auteurs concernant le conflit. À partir des données rassemblées sur ce site, paraît aujourd’hui un livre reprenant une part de ces archives. Et une exposition reprend les documents originaux.
Le but était de montrer comment la guerre avait été vécue par les écrivains. Le projet n’était pas de faire une anthologie exhaustive. Mais de donner la parole aux écrivains en proposant des documents qui montrent comment le conflit a été vécu, documents qui ne sont habituellement accessibles qu’aux chercheurs : les manuscrits de journaux personnels ou de textes inédits, la correspondance, les photos, les affiches, etc. Et dans ce riche fond des AML, on découvre quelques perles.
Tant les écrivains du front que ceux de l’arrière (si on peut utiliser cette expression à propos de la Belgique occupée) sont pris en compte.
Les écrivains combattants, comme Max Deauville, Robert Vivier, Maurice Gauchez, Marcel Thiry, Constant Burniaux, Louis Boumal, et d’autres, disent à la fois l’angoisse de la mort et les terribles conditions d’existence et à la fois l’ennui profond de la vie entre les combats.
Les écrivains de l’arrière, qui n’étaient pas à même de prendre les armes, décrivent les difficultés croissantes sous l’occupation allemande, la faim, la déportation, les vexations nombreuses qui sapent le moral d’une population doutant de pouvoir retrouver la liberté. Parmi ceux-ci, Georges Eekhoud, Edmond Picard, Marie Gevers, Adrien Bayet, etc. Et puis, il y a ceux de l’exil qui vont souvent mener une intense activité de propagande pour assurer le soutien des autres nations à la Belgique : Emile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Jules Destrée,…
La grande diversité des attitudes et des propos permet de se représenter les différentes facettes de ce traumatisme que tous partagent.
Lire aussi : Nos écrivains et la Grande Guerre (C.I. n° 201)
Parmi les découvertes que permet le projet, il y a indéniablement le journal de guerre d’Eekhoud qui rend finement compte des difficultés de la vie quotidienne, mais aussi de l’état d’esprit de la population. Il offre aussi un intéressant panorama de la vie culturelle et littéraire et de ses enjeux à cette époque troublée. Il décrit, par exemple, comment sa compréhension à l’égard des demandes de respect du néerlandais lui vaudra des accusations de collaboration à la fin de la guerre. Il analyse aussi la difficile question du rapport à l’Allemagne avec laquelle nombre d’intellectuels belges entretenaient de bons rapports avant guerre. Et – déjà – il s’interroge sur cet étrange pays qu’est la Belgique et sur sa viabilité.
Parmi les écrivains combattants, on retiendra Louis Boumal qui meurt de la grippe en octobre 1918. Ses carnets sont extrêmement éclairants sur l’état d’esprit d’un soldat qui souvent s’ennuie et souffre de la difficulté d’avoir une vie intellectuelle satisfaisante et, par d’ailleurs, vit dans la crainte du combat et de la mort.
Lire aussi : notre recension des Écrits de guerre de Boumal
Sur ce site des AML, riche et bien conçu, chaque mois pendant quatre ans ont paru trois ou quatre (parfois plus) rubriques consacrées à un auteur. Les manuscrits sont transcrits au format texte. Dans un grand nombre de cas, l’original, photo, correspondance, manuscrit, est visualisable. Chaque document est situé dans son contexte et bien mis en perspective.
Le livre, La guerre de nos écrivains, ne reprend qu’une partie réduite des rubriques du site. Le choix est judicieux et invite à aller consulter le site. Soigneusement édité, l’ouvrage est un bel objet.
L’inexistence ou la pauvreté d’archives pour certains auteurs explique la place plus réduite qui leur est consacrée. Parfois, ce sont de jeunes écrivains morts au combat qui n’ont pas eu la possibilité de développer une œuvre, comme Léo Somerhausen ou Prosper-Henri Devos, dont la mémoire est ainsi perpétuée.
Signalons encore qu’en collaboration avec l’Université de Liège, les Archives et Musée de la Littérature proposent sur le site les Carnets Boumal. Le manuscrit est, dans son intégralité, repris en fac similé, en face de sa transcription. Un document à la fois poignant et essentiel pour la compréhension de la réalité vécue par Louis Boumal.
Joseph Duhamel