Jan BAETENS (Textes), Clémentine MÉLOIS (dessins et couleurs), Le roman-photo, Le Lombard, coll. « La petite bédéthèque des savoirs », 2018, 88 p., 10 € / ePub : 4.99 €, ISBN : 978-2-8036-3735-5

Publié dans la dynamique collection « La petite bédéthèque des savoirs » créée par David Vandermeulen, Le roman-photo de Jan Baetens (textes) et Caroline Mélois (dessins et couleurs) explore ce genre hybride, longtemps décrié, auquel Jan Baetens, poète, professeur en sémiotique et en études culturelles à l’Université catholique de Louvain, a donné ses lettres de noblesse. Pionnier des études sur ce genre narratif longtemps méprisé, assimilé à la presse de cœur bas de gamme, Jan Baetens nous fait voyager dans la genèse, les origines du genre. Faisant ainsi un sort aux idées reçues, aux a priori négatifs (proche de la bande dessinée, le roman-photo agencerait des photos stéréotypées à des textes basiques placés sous le signe d’une histoire à l’eau de rose), il retrace son apparition en Italie après la Deuxième Guerre mondiale avant qu’il n’émerge en France (avec le magazine Nous deux). Loin de se résumer à une paralittérature pour ménagères en mal de d’histoires d’amour, il offre une diversité qui fut longtemps méconnue. Étroitement associé au cinéma, le roman-photo baigne dans des origines nimbées de flou. Certains voient dans Cesare Zavattini (le scénariste, entre autres, du Voleur de bicyclette) l’inspirateur de ce genre polymorphe. Afin de le circonscrire, il importe de le définir en le différenciant de deux genres apparentés, le ciné-roman et le roman dessiné.
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Analyse sociologique des raisons de l’essor du roman-photo, de l’engouement qu’il suscita immédiatement dans le grand public, évocation de l’image/des images de la femme qu’il véhicule, exploration des parodies du roman-photo dans le film Le cheikh blanc (1952) dans lequel Fellini brocarde la bêtise du genre et le bovarysme de ses lectrices… le livre déroule l’ascension vertigineuse du genre et son déclin dans les années 1970, « la télévision supplantant la presse du cœur ». Dans leurs pratiques de détournement, les situationnistes déterritorialisèrent les codes du roman-photo afin d’en faire l’instrument graphique et textuel d’une critique de la société du spectacle : symbole par excellence de l’aliénation, d’une non-pensée, le roman-photo est pris à rebrousse-poil, retourné en arme subversive dénonçant la vacuité de la société de consommation et la lobotomisation des esprits. Avec le professeur Choron, Gébé, la presse alternative (Hara-Kiri, Fluide glacial notamment) a également détourné le roman-photo au profit d’une satire caustique de la culture, d’un humour brisant les bienséances, les tabous. Le médium n’a cessé de se réinventer et continue de donner lieu à des expérimentations novatrices, de Bruno Léandri, le précurseur, au court-métrage La jetée que Chris Marker a sous-titré « Roman-photo », du renouvellement radical du genre avec Benoît Peeters et Marie-Françoise Plissart (dans Fugues, Droit de regards, Un mauvais œil, Aujourd’hui…) à Suzanne et Louise d’Hervé Guibert…
Au sein d’un dispositif visuel efficace, le livre s’achève sur les promesses d’avenir de l’esthétique du roman-photo, dans la direction de la parodie ou du poétique, dans une veine underground (Julie Doulet) ou celle du pastiche (Fabcaro). Fabcaro, Xavier Lambours, Alex Barbier (et ses photos colorées dans Lycaons, Le Dieu du 12)… autant d’artistes qui, décalant le genre, lui « font un enfant dans le dos » pour reprendre l’expression de Gilles Deleuze.
Véronique Bergen