Voyage atypique aux cœur des pensées d’un original

Françoise PIRART, Beau comme une éclipse, M.E.O., 2019, 173 p., 16 €, ISBN : 978-2-8070-0191-6

Albien Bienfait. Bien bien. À prononcer son nom tout haut, la répétition laisserait penser que ce personnage est né sous les meilleurs auspices. Et pourtant, le jeune homme tient plutôt de l’anti-héros que d’un séducteur ou d’un leader charismatique. Pudiquement, on parlera d’une personnalité atypique, là où d’aucuns oseront avancer les termes « inadapté social ». Mais Albien n’en a cure. Il s’amuse de cette différence et n’envisage pas de rentrer dans le rang. Après tout, pourquoi voudrait-il s’intégrer à une société qui selon lui fait fausse route ? Il préfère se concentrer sur le monde des invisibles, des insectes, des vers, de la faune souterraine ; toute cette vie à laquelle les gens ne prêtent pas attention, à l’instar de sa propre existence.

Il aime aussi jouer avec les mots, les assembler de manière originale, utiliser un vocabulaire châtié. De cette façon, oui, il se fait remarquer et ça occupe ses journées. Parce que des projets, il n’en a pas vraiment. Sa mère et sa grand-mère l’avaient dans un premier temps promis au séminaire. Son oncle envisage divers plans foireux dans lesquels il lui promet un rôle capital. Quant à son expérience dans le monde de l’entreprise, elle ne suscitera aucune vocation. Une seule chose l’anime, une seule personne lui tient lieu de motivation : Esther, son amour d’enfance, qu’il garde l’espoir de retrouver malgré les années qui passent.

Étrange histoire que celle de cet Albien. Pas facile de pénétrer dans son univers. Le personnage déroute et on se demande où il va nous emmener, quel voyage il va entreprendre, vers quelles contrées le lecteur sera invité à le suivre. Mais finalement, c’est surtout dans ses pensées que nous conduit Françoise Pirart. Pas de grandes aventures, pas de suspense insoutenable ou de rebondissements en cascade ; juste le quotidien d’un protagoniste hors norme. Le voyage n’est pas mouvementé mais plutôt poétique : il s’agit pour le lecteur de tenter de chausser les lunettes d’Albien le temps de quelques pages, de voir le monde avec un regard différent.

Le moyen de transport est confortable : on embarque à bord d’un texte très bien écrit. Le style, d’une grande qualité, est toujours mis au service du protagoniste. Les mots sont choisis pour donner accès aux détails de sa personnalité, pour rendre la rencontre concrète. Selon les sensibilités, Albien Bienfait agacera ou attendrira. La rencontre laissera sur leur faim les adeptes de péripéties rythmées mais fascinera les lecteurs friands de personnages originaux.

Estelle Piraux