Layla NABULSI, Deux valises pour le Canada, Lansman et CTEJ, 2019, 36 p., 9 €, ISBN : 978-2-8071-0221-7
L’émigration est-elle encore envisageable passé un certain âge ? Une vieille dame se souvient et raconte l’exil qu’elle a connu, des années plus tôt, lors de la révolution hongroise. Fuir, marcher, avoir froid, très froid, marcher encore, soutenir les siens… À son âge, elle serait incapable de recommencer.
Andras, soldat de son état, rentre un jour en panique à la maison : il faut partir, sur-le-champ. Vite, deux valises, ils y mettent tout ce qu’ils peuvent : couvertures, vêtements, bijoux, pain, sucre… Pour l’eau, ils mangeront la neige. Ils habillent chaudement les enfants – où sont passés les gants ? – et se mettent en route. Le chien reste là, il risquerait de les faire prendre. On prend tout ce que l’on peut, on ferme la porte et on s’en va sans avoir dit au revoir à personne, même aux parents. Dehors, c’est l’hiver. Des nuages noirs pleins de neige menacent le ciel. La nuit tombe. Ils marchent. Ils dorment la journée, marchent la nuit. Comme ça, jusqu’à la frontière yougoslave. Les enfants – Bogdan et Bela – sont épuisés. Ils dorment dans les valises. Les parents, mus par un instinct de survie, portent, avancent coûte que coûte. Ils ont faim et froid, mais se taisent. La famille arrive au poste-frontière. Un garde les arrête. Que va-t-il leur faire ? Il voit les enfants et les laisse passer. Ils arrivent tous au camp de réfugiés. Andras rêve de partir au Canada, cet ailleurs idéalisé. Ils se mettent à attendre les Canadiens. Le confort du camp est très éphémère. Les conditions d’hygiène déplorables. Mais ils attendent. Les jours passent et pas l’ombre d’un Canadien. Tous les autres réfugiés s’en vont, petit à petit, en France, en Allemagne, en Italie… Eux restent là. Un jour, des Belges arrivent. On leur dit que c’est bien, là-bas, en Belgique. Ils les suivent, arrivent au plat pays, posent de nouvelles fondations, reconstruisent tout petit à petit. Les deux valises restent au grenier. Plus question de les descendre. Plus question de partir.
Valérie Joyeux de la compagnie Les Pieds dans le vent, qui joue dans la pièce, a demandé à Layla Nabulsi de mettre des mots sur le récit d’une amie, Marie Szabo, dont les parents ont fui la Hongrie en 1956. L’auteure et l’interprète laissent place à une fiction imaginée à partir de faits réels et placent le point de vue sur la mère. Le récit est dédié « à toutes celles et ceux, jeunes ou vieux, qui, quelles qu’en soient les raisons, ont été et sont forcés de quitter leurs terres pour prendre le chemin de l’exil ». Une pensée particulière est adressée à ceux qui croupissent dans les camps de réfugiés ou sont sur le chemin d’un ailleurs qu’ils espèrent accueillant. Une pièce jeune public pour témoigner du sort des migrants, d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs. En 60 ans, peu de choses ont finalement changé. L’Histoire se répète. Personne n’est à l’abri de devoir un jour prendre ses deux valises.
Notons le texte d’Émile Lansman, en guise d’épilogue, qui donne quelques chiffres sur la migration, parle du statut de réfugié – qui ne signifie malheureusement pas toujours la fin des souffrances – et rend hommage à ceux qui choisissent d’aider les nouveaux arrivants.
Émilie Gäbele