En vers et contre tout

André STAS et Éric DEJAEGER, Sornets, illustrations de Jean-Paul Verstraeten, album édité à 200 exemplaires numérotés et signés, R.A. Editions, 2018, 210 p. ; Éric DEJAEGER, Le musée de la girouette et du ventilateur (Poèmes cocasses), couverture de Serge Delescaille, Gros Textes, 2018, 82 p., 6 €, ISBN : 978-2-35082-401-7

Sornets couverture andré stas eric dejaeger

En tête des Sornets, l’opus commun d’André Stas et Éric Dejaeger, le portrait de ces deux farfadets crapoteux, réalisé par Jean-Paul Verstraeten, troisième larron de la fête, donne bien le ton de la pyrotechnie langagière et (dé)culottée de cet opus. Savante et acrobatique aussi puisqu’il s’agit pour ces fins lettrés, dévoyés pour la bonne cause – celle du rire –, de produire selon les canons les plus orthodoxes de la métrique, cent sonnets alexandrins qui valent leur pesant de roupie et de jouissive insolence.

Le modus operandi de cette gageure : à tour de rôle, chacun propose à son complice le matériau de base : quatorze lettres qui donnent le titre du sornet et fondent l’acrostiche à venir où les deux compères s’ébattent comme des canards dans une mare au diable. Rien n’est épargné dans ces vers folâtres qui « pour dérider les âmes » patafiolent tant la politique que la culture, célèbrent l’amour, la femme d’avant Me too, sa séduction luciférienne, ses blasons affriolants (de la fesse allègre aux plus subtils outils des beaux dérèglements de l’érotisme) sans oublier le plus fêté des attributs masculins ni un chouya de scatologie convoqué en toute hypocrisie  par les exigences absolutoires de la rime. Avec un mot d’ordre absolu :

Vainquez les prétentieux exigeant un tribut,
Eh Merdre !!! En avant pour les réjouissances,
Rien, jamais, ne devra mettre fin au chahut ! 

En support magistral à chacune de ces cent sarabandes littéraires, Jean-Paul Verstraeten élève en pleine page, en noir et blanc et sous forme de collages et gravures, une stèle somptueuse, joyeusement funèbre, psychédélique et coquine, évoquant,  à sa manière très décalée, les têtes de pipe et autres victimes du couple de potaches déchaînés (par ailleurs enseignants dans le civil) qui confirment leur statut dans la chute du sornet consacré à La poésie qui rit : « Rosseries, calembours restent notre credo./ Impudents, provocateurs, arsouilles/ Taquins, nous nous fichons bien de notre albedo »  (ce dernier terme désignant, comme chacun sait, et Larousse mieux encore : « la fraction de la lumière et de l’énergie reçues que réfléchit ou diffuse un corps non lumineux »).  Tout cela – vers et collages – « pour de rire » bien entendu, mais célébré selon le rituel sévère du culte de la Chimay bleue dont ciboires et calices inspirent « les deux anars frileux » et s’offrent quelques théophanies parmi les nécessaires allégories de l’imagier.

Le protocole est sauf : cibles inaugurales congrument vilipendées, MM. Michel et Macron cèdent la place à un pandémonium éclectique où les comiques ne manquent pas et où figurent pêle-mêle, introduits à l’enseigne des quatorze initiales règlementaires, Johnny Hallyday, Jésus d’Nazareth, Francken buiten, Freud-Jung-Lacan, Maggie Tadchair, Albert Einstein, Mon pote Lucifer, Georges Simenon, Laurel and Hardy, Tintin mit Milou, sans oublier Homélie Nothomb et bien d’autres. Très présentes aussi dans ces cent « sornettes d’alarme » : des abstractions philosophiques ou la vie au quotidien comme Faire pipi au lit, Le sens de l’umour (sic), Art brut for ever, Surréalisterie, Halte au travail, Malbouffe assez…. On en passe une tripotée, et des pires. 

Que l’on soit pisse-froid ou allergique à la gaudriole gaillarde, on ne peut que saluer la gratuité d’une performance athlétique, délicieusement inutile et déclinée dans un album digne de ce nom où, grâce au trio brindezingue et à ses versets sataniques, fornique en toute liberté le vieux couple mythique de l’art et du cochon.

Par ailleurs, à l’enseigne des bien nommées éditions Gros Textes, Éric Dejaeger sévit en solo dans un  livre petit par la taille, mais grand par sa mission de nous faire visiter, à coups de Poèmes cocasses, sous une couverture dessinée par Serge Delescaille, son improbable Musée de la girouette et du ventilateur où « les visiteurs/se voient offrir un cache-nez/ à l’entrée » vu que « de nombreuses personnes/s’enrhumaient durant la visite ».  Ce qui s’y ventile, peut-être est-ce de la poussière de vécu (potentiel ?) obtenue par dynamitage des mots. Sachant que ceux-ci, s’ils ont pignon sur rue et sur dictionnaire sont aussi les portails ouvrant sur des labyrinthes ludiques où la poésie – fût-elle canaille – se dévoie avec délectation. Pour ce qui est de la girouette, ce symbole du caprice indiquerait-il que ladite poésie n’a que faire, en effet d’un GPS, emblème regrettable d’un sérieux convenu et rétif à tout égarement ? Quant aux « aventures de Superpoète » qui concluent l’opus, elles évoquent, avec autant d’autodérision que d’esprit critique, le psychodrame ubuesque et nombriliste de ce surhomme écartelé entre le combat avec son Grand Œuvre et la fierté de « faire dans la powézie ».

Superpoète doit grangueuler
avec son impossible tronche ! Superpoète  rêve
de se faire enterrer
au Cher Lepèze
pour que l’on parle enfin de lui
dans cent trente-deux ans
quatre mois 
et vingt jours
.

Voilà qui mérite sans doute d’être dit quand on est, tout bêtement, un simple poète.

Ghislain Cotton