Néandertal, la femme et les joies du couple

Aurélie William LEVAUX, La vie intelligente, Atrabile, 2019, 152 p., 19,50 €, ISBN : 978-2-88923-079-2

L’artiste plasticienne Aurélie William Levaux, fidèle à sa technique d’illustrations sur tissu, à son regard désabusé sur la vie et à son humour pince-sans-rire nous livre un nouvel album hybride. Face à des dessins de scènes de vie, elle mène un récit sur le quotidien de son couple, encore en construction, mêlé de digressions plus réflexives sur des sujets aussi variés que la condition humaine, l’état du monde, les crises hormonales, les ordinateurs cassés dans un mouvement d’humeur et les pizzas à un euro.

Les illustrations et le texte de La vie intelligente n’ont pas été créés ensemble. Et l’autrice d’en révéler la genèse : suite à un refus d’un premier texte par ses éditeurs (« Trop incohérent, ils avaient dit »), elle se lance dans la rédaction d’un texte à lire parallèlement aux images, mais qui n’y est pas conjoint. « Elle ne raconterait d’ailleurs pas ce que les dessins raconteraient, si elle avait dû raconter ce que les dessins racontaient, elle ne les aurait pas dessinés. (…) Il était assez clair que sans texte, sans rien à dire et sans réelle histoire, concevoir un objet qui ressemble à un livre ne se justifiait pas, surtout dans cette ère lamentable, on n’avait plus le temps de rigoler avec de l’art et des livres qui ne servent à rien, ça aurait été comme une insulte au monde,  et ça commençait à suffire, l’insulte au monde. »


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Si Aurélie William Levaux est constante dans le côté atypique de ses œuvres, elle montre une vraie évolution plastique. Son univers pictural se transforme, tout en préservant une évidente continuité dans sa recherche. Même support, puisqu’elle travaille toujours sur tissu, mais autre manière de traiter les sujets, de façon moins allégorique et plus réaliste, et des couleurs plus pleines, plus généreuses. Quant au texte, il s’agit d’une autofiction rédigée à la troisième personne. Elle y est « la femme », son compagnon est surnommé « Néandertal ».

Depuis son premier livre, Menses ante rosam, son œuvre utilise comme matière première sa vie personnelle. Ici encore, Aurélie William Levaux se raconte. Les scènes du quotidien semblent représentées d’une façon fidèle à la réalité. Mais si le livre peut donner l’impression que son autrice livre son intimité, à la façon d’un journal, elle garde en réalité les lecteurs à distance (par le recours à la troisième personne, notamment). Elle semble en dire beaucoup, invite dans la sphère privée de son foyer, de sa chambre ou de sa salle de bain, et pourtant ne se livre jamais tout à fait. On sort de sa lecture avec une impression d’insaisissable, d’amusement, de désorganisation.

Sorte de pêle-mêle d’images et de mots à la croisée des genres, La vie intelligente livre un regard percutant sur la vie de son autrice, sur la vie en général. AWL portraitise une tranche de son existence avec ses injustices et ses misères, mais aussi ses sauts de l’ange au-dessus du séchoir à linge.

Fanny Deschamps