Cours après moi que je t’attrape !

Gilles HORIAC, La peau de l’autre, 180° éditions, 2019, 195 p., 19 €, ISBN : 978-2-931008-11-9

Horiac la peau de l'autreLe premier chapitre est savoureux. Quelques pages, à peine, et le narrateur/héros, son microcosme (familial et professionnel) sont campés. Mieux : la crise (qui génère le fil centripète de tout thriller) est amorcée, intrigante. Cerise sur le gâteau : un deuxième fil narratif se dessine et démultiplie la tension, le suspense.

En clair ? Nicolas Lurquin, un quadra, mène une vie des plus heureuses auprès de sa femme Ariane, de leurs deux fils Brieuc (dix ans et une passion pour son vivarium) et Yannick (treize ans et les premiers signes, discrets, de la préadolescence). Une vie confortable aussi : sa femme est kiné, lui travaille dans une agence d’intérim, ils possèdent une belle maison près de Bruxelles, etc.

Et soudain :

Dans ce bonheur tranquille qui me ravit, un grain de sable a réussi à s’infiltrer ce matin, sous la forme d’un e-mail qui est arrivé sur mon smartphone (…) 

Quid ? Un notaire du Languedoc l’informe du décès d’un oncle et l’invite à le rejoindre du côté de Montpellier.

Or :

(…) j’ai beau explorer chacune des branches de mon arbre généalogique, je n’y trouve nulle trace de Guillaume Faviau. (…) Je n’ai ni frère ni sœur, et mes parents sont morts il y a plusieurs années dans le crash de l’avion qui devait les ramener de Rio jusqu’à Paris. 

Perplexe, Lurquin décide d’emprunter le TGV et d’aller y voir de plus près. Mais, très curieusement, il n’en dit mot à sa femme, à ses proches. Pour ne pas décevoir ? Ménager une surprise de conte de fées en cas d’héritage conséquent ? Une petite voix en lui le guide. Pudeur ?

La suite ? Chaque chapitre est découpé en deux parties, l’une se focalise sur le narrateur mais l’autre s’érige autour des agissements d’une mystérieuse bande de braqueurs (Le Blond, Le Brun, Le Roux et La Femme), menés par un Vieux énigmatique, adepte du travail propre et méticuleusement planifié.

Le premier chapitre nous a arrachés à notre quai débonnaire de lecteurs en manque et propulsés grand large, la narration conjugue fluidité et tonicité, nous voguons de plain-pied avec le narrateur, excités par le voyage ou l’ombre des criminels. Mais que dire du deuxième chapitre, qui précipite les attentes, accélère vitesse du récit et pouls du lecteur ? La première distorsion (après de minces indices) surgit lors du trajet en train, lors de l’arrêt Valence, quand « une femme ravissante, la petite trentaine, de grands yeux verts, les traits fins », se précipite vers le héros, l’appelle « Paul », lui témoigne une familiarité d’amante/complice, évoque des dangers, une fuite… avant de descendre/disparaître en lui transmettant une carte de visite. Diane Marvel ? Lurquin, séduit, jurerait pourtant ne l’avoir jamais croisée. 

Notre héros n’a pas atteint le terminus de ses surprises. Dans le cabinet du notaire, ce dernier annonce une somme de dix millions d’euros. Dévolue à Paul Faviau. Notre narrateur de protester – avec quelle honnêteté ! – de son identité. Le notaire sourit et demande un document, semble s’en réjouir. Lurquin, déstabilisé, reprend le papier, y jette un œil et découvre le nom du neveu en lieu et place du sien. Stupeur !

L’intégrité a ses limites. Notre héros décide de jouer temporairement le jeu et les Faviau pour assurer le transfert bancaire. Il sera temps assez, à son retour… Mais tout bascule définitivement. Il rentre chez lui euphorique, veut annoncer la manne céleste, la nouvelle ère qui s’ouvre… Patatras ! Un inconnu athlétique s’est substitué à lui comme père/époux. Sa famille est-elle menacée par un maniaque, retournée par un manipulateur ? Il veut s’en persuader mais plus personne (proches, collègues) ne le reconnaît. Sombrerait-il dans la démence ? Est-il englué dans une ténébreuse machination ?

Lurquin va se battre durant près de deux cents pages pour résoudre les mystères qui embrument sa vie, rechercher Diane, croiser – on s’en serait douté – la route des braqueurs… comme celle de très dangereux mafiosi prêts à tout tenter pour venger l’assassinat d’un des leurs (et de son enfant).  Et apprendre à courir plus vite que son ombre. Mais quelle est sa place exacte sur cet échiquier ?

Au fil du drame, de la trame et de la confusion identitaire, on songe à Angel Hearth (d’Alan Parker), à d’autres films encore, ceux d’Hitchcock, qui faufilent régulièrement un innocent/martyr dans une chasse à l’homme hallucinée.

Un bémol ? Le thriller est purement ludique : l’écriture de Gilles Horiac, très efficace, se limite au fonctionnel ; les personnages, paradoxalement, perdent de la consistance en cours de road-movie

Mais. Ne boudons pas notre plaisir. Voici un véritable page-turner ! Et le grand mérite de l’auteur est de nous amarrer à son héros de la première à la dernière page.

Philippe Remy-Wilkin