Ça commence par un choc

Angèle BAUX GODARD, L’empreinte du vertige, Lansman / Rideau de Bruxelles, 2019, 38 p., 10 €, ISBN : 978-2-8071-0236-1

La pièce commence par un accident. Sur le chemin de la maison, Elisa, vingt-neuf ans, percute une panthère. La jeune femme reste prostrée quelques minutes. Le choc a été rude et provoque l’afflux d’images et de souvenirs. Flashback : Elisa a dix-sept ans et est étudiante en prépa philo. C’est là que ses premières angoisses apparaissent. La jeune femme redémarre et part sur un coup de tête vers le Sud pour voir la mer, alors que son compagnon et sa fille Jade, dont c’est l’anniversaire, l’attendent à la maison. À la lumière d’une enseigne lumineuse, nouveau souvenir : Elisa a dix-neuf ans. Elle se sent incapable de terminer ses études et quitte tout pour la fac. De quoi souffre-t-elle ? D’où vient cette mélancolie qui lui colle à la peau ?

Les souvenirs continuent de l’envahir : la visite chez le médecin et un mot, un seul mot, lâché : vaginite – ce mal psychophysiologique, assez répandu mais souvent tabou, qui provoque une contraction réflexe et involontaire des muscles du plancher pelvien rendant impossible toute pénétration. Son premier amoureux, doux et attentif, avec qui elle a tout tenté pour réussir à faire l’amour « comme tout le monde ». Les thérapies et les traitements qu’elle a suivis pendant de longues années pour soigner sa pathologie. Puis, une étrange image qui revient sans cesse : Elisa a quatre ans, elle entre dans la chambre de Sal et danse sur ses airs de guitare… Elle doit trouver le nœud du problème, arriver à se reconstruire, mais même les thérapies EMDR (intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires) ne semblent pas l’aider. Tout son fric y passe mais rien ne change. Il est très difficile d’en parler, même auprès de bonnes copines. « Impénétrable »… La mélancolie finit toujours par s’imposer plus durablement. Alors qu’est-ce qui fait qu’on continue ?

La voiture tombe en panne. Son compagnon doit certainement s’inquiéter. Elisa abandonne le véhicule et plonge dans la forêt. Toutes les paroles entendues – de ses parents, de l’amoureux, des médecins, des copines… – toutes ces voix résonnent dans sa tête. Elle se blesse. Elle devrait déjà être rentrée. Que va-t-elle faire ? Va-t-elle mettre le doigt sur son problème ? Que s’est-il passé exactement avec Sal dans cette chambre ? Au bout du tunnel, la mer se profile devant elle…

 

Angèle Baux embarque le lecteur dans les méandres de l’esprit, du subconscient et des traumatismes qui marquent leur proie. Entre rêve et cauchemar, ce « road trip fantasmagorique » – qui s’imprègne très certainement de racines autobiographiques tant la pureté du langage et l’âpreté du vivant sont présents – prouve que le chemin de la guérison, de la reconstruction et de la résilience peut être long, mais qu’il reste possible. La plongée dans l’onirisme est parsemée d’images fortes, comme cette panthère percutée de plein fouet qui ne la quitte jamais. Ou cette silhouette d’homme, cet Autre, le plus souvent installé sur la banquette arrière de la voiture, des baguettes de batterie à la main. Il accompagne Elisa dans son récit, la sort de sa léthargie et devient par moments un réel compagnon de jeu.

Émilie Gäbele