Patricia EMSENS, Histoires d’un Massacre, Busclats, 2019, 250 p., 16 €, ISBN : 978-2-36166-155-7
Le destin d’un grand tableau est intrinsèquement noué au destin de l’Histoire. Le destin de l’Histoire collective est noué au destin d’une histoire personnelle. Ce dernier peut être noué à l’histoire d’un tableau… et ainsi va parfois le cours d’un récit, d’une narration. Ainsi vont les Histoires d’un massacre de Patricia Emsens, qui signe là son troisième roman. La quatrième de couverture ne trompait pas le lecteur : « Histoire de l’art, du monde, roman familial, quête et enquête, le roman de Patricia Emsens s’écrit dans l’intensité et l’émotion aux lisières poreuses de l’intime, l’art et la vie. »
Au départ d’une exposition, les « Scènes d’hiver de Brueghel », dont la guide est la protagoniste principale Cecilia Langlois, nous entrons dans un récit qui procède notamment par analepses, voyageant dans l’espace (entre la Belgique et l’Argentine) et le temps (nous sommes tantôt dans les années 90, tantôt vers les années 40-45). La reproduction d’un tableau en particulier, le Massacre des Innocents, devient le prétexte à de multiples interrogations : comment voyage, temporellement, un grand tableau ? Comment absorbe-t-il l’histoire de toutes les générations qui ont posé les yeux sur lui ? Comment en témoigne-t-il ? Entre scènes de la vie quotidienne et descriptions du tableau, nous retraçons tant l’histoire familiale de Cecilia que l’Histoire et ses guerres, nous retraçons également la vie du tableau et du peintre : la force de ce roman est de mêler ces récits au sein d’un seul.
Le pluriel du titre le dit assez. L’histoire dans le tableau se lie donc à l’histoire qui se passe autour du tableau, ne serait-ce par exemple que par le climat neigeux qui entoure l’exposition guidée par Cecilia et dans lequel cette fiction prend cours, à l’instar de l’hiver représenté par Brueghel. La temporalité et la mémoire sont les thèmes principaux du livre. Si la protagoniste Cecilia en est le fil rouge, l’auteure en devient la guide. Celle-ci nous installe, au gré des dialogues, des introspections et des souvenirs, dans une position de témoin : « Nous ne sommes ni avant, ni après la scène. Nous sommes les témoins de quelque chose d’abominable que nous ne pouvons ni enrayer, ni arrêter. Tout au plus, constater. » Nous sommes devant une scène. « On s’intéresse à l’Autre et, par ricochet, à soi-même » : entre soi et l’Autre, un tableau fait parfois écran. De chacun des personnages est délivrée la relation qu’il entretient avec le Massacre des Innocents, dont la puissance aura affecté vies individuelles et vie collective – tous destins noués.
Charline Lambert