Un coup de cœur du Carnet
RAONI, Jean-Pierre DUTILLEUX, Mon dernier voyage, Arthaud, 2019, 220 p., 18 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 9782081392434
Livre-testament, livre de combat avant de tirer sa révérence. Le cacique kayapo Raoni Metuktire qui, sa vie durant, s’est battu pour sauver la forêt amazonienne, soutenir la cause des peuples autochtones, a confié ses mémoires à l’écrivain et cinéaste Jean-Pierre Dutilleux qui, depuis les années 1970, a fait connaître les luttes de Raoni, lui consacrant un film, plusieurs livres. Il semble indécent de ranger cette création au nombre des millions de livres qui s’épandent dans le monde, pour le meilleur et pour le pire. Mon dernier voyage délivre aux Blancs, aux non-initiés, à ceux qui ont tout oublié de l’alliance entre les formes du vivant peuplant la Terre, un ultime message, une sagesse, une vision du monde qui garantit la préservation de ce dernier. Depuis des décennies, relayé par J-P Dutilleux, Sting, le cacique Raoni sillonne le monde pour alerter. Lancer un SOS afin de préserver le poumon vert amazonien menacé par une déforestation galopante que l’élection de Bolsonaro accentue dramatiquement.
En 2019, à 75 ou 80 ans, il accomplit son ultime voyage en Occident, répétant une vérité que les gouvernants refusent d’entendre, à savoir que la défense des forêts primaires, de la biodiversité, le respect des modes de vie des peuples indigènes ne font qu’un avec la défense de l’humanité. Le jour où les arbres mourront, où la forêt amazonienne sera massacrée, les Indiens périront avant que les prédateurs, les responsables de l’asphyxie ne s’éteignent à leur tour. Dans ses mémoires recueillis par Jean-Pierre Dutilleux en 2009 et en 2017, Raoni revient sur son enfance, évoque la richesse spirituelle de la société kayapo avant l’arrivée des « Kuben », les Blancs.
Très vite, il comprend que pour s’allier contre les Kuben, orpailleurs, multinationales déforestant l’Amazonie, les Indiens doivent renoncer à leurs guerres tribales afin de s’unir mais aussi à la guerre contre les envahisseurs. Pour endiguer la fièvre des chercheurs d’or, les Indiens doivent s’allier à certains Kuben mus par la même conscience d’une urgence environnementale. Une des grandes victoires obtenues par Raoni fut la reconnaissance de la démarcation des territoires kayapos ancestraux, une reconnaissance formelle, aujourd’hui fragilisée par l’arrivée de Bolsonaro, le transfert des compétences de la FUNAI au Ministère de l’Agriculture sous la coupe des appétits voraces de l’agrobusiness.
D’une lucidité absolue, Raoni témoigne de son inquiétude face à l’évolution du monde, aux choix de société, sa course vers l’abîme. Dans cet appel aux générations futures qui va bien au-delà de la seule défense des peuples premiers, il n’est pas dupe des promesses non tenues, du couperet du « trop tard » qui se balance au-dessus de nos têtes, de l’hiatus entre les paroles des hommes politiques, de la société civile et les actes.
Raoni campe deux visions du monde qui s’affrontent, la vision minoritaire (des peuples autochtones, des mouvements environnementaux) d’une alliance avec la nature, la vision dominante d’une exploitation illimitée de ses ressources, qui nous mène dans le gouffre. Ses craintes portent aussi sur les jeunes Indiens qui, abandonnant la culture ancestrale, cèdent aux tentations matérielles, délaissant la richesse spirituelle, symbolique, aspirés par un désir d’Occident Le rouleau compresseur d’une mondialisation uniformisante menace les derniers peuples sommés de se rallier à la non-pensée unique.
Je raconte cela pour que les jeunes de chez nous sachent qu’avant, nous avions beaucoup de connaissances médicinales. Il faut essayer de les préserver sinon les Indiens vont dépendre des médicaments des Blancs qui coûtent très cher et ne fonctionnent pas aussi bien que les nôtres qui, eux ne coûtent rien ! (…) J’aime la vie en forêt. Je la sens vivre sous mes pieds nus, j’entends ce qu’elle me souffle, elle m’apprend comment vivre avec elle.
Maladies mortelles, enfer de l’alcool apportés par les Blancs qui envahissent les terres, viols, meurtres commis par les colons, génocide des Indiens d’Amérique du Nord, du Sud, percement de routes, destruction de la culture amérindienne par les missionnaires avant que ne se mette en place un combat pour la préservation des sociétés kayapos qui savent comment « vivre des ressources de la forêt sans la détruire »… Livre d’adieux, de chaman que Raoni nous offre avant de rejoindre les ancêtres, appelé par l’esprit Impre-re.
« La forêt saigne, je le sens dans mon cœur ».
« La terre brûle. Les colons sont fous, ils ne se rendent pas compte des dangers ! ».
Forêts en danger, humanité en danger, levez-vous.
Véronique Bergen