Isabelle FABLE, Ces trous dans ma vie, Préface de Gabriel Ringlet, M.E.O., 2019, 202 p., 17 €, ISBN : 978-2-8070-0216-6
Ces trous dans ma vie. Par ces mots frappants, poignants, Isabelle Fable évoque les êtres aimés disparus. Les fait revivre par la force de l’amour, leur rend chair et âme, voix et regard. S’émeut, s’émerveille de « cette proximité paradoxale que crée la mort d’un être aimé, qui nous quitte… et qui vient faire partie de notre profondeur intime. Nous nous chargeons de lui, en quelque sorte. Nous le prenons en nous pour une autre forme de vie, subtile. »
Jour après jour, elle prend la plume pour les faire apparaître en filigrane, les rendre présents, éprouver le lien indissoluble qui la lie à eux. Et ainsi tenter de repriser, retisser ces déchirures qui ont troué sa vie.
Premier arrachement : son père, dont la mort soudaine, à la fleur de l’âge, la jette dans une indicible détresse, « le cœur à vif, transi de douleur ».
Puis sa mère, « calfeutrée derrière son mari », dévastée par sa mort, se repliant sur elle-même et déclinant jusqu’à perdre ses facultés. Sa mère, dont elle regrette de n’avoir pas été aussi proche qu’elle l’aurait aimé.
Il n’empêche. « Quand on peut être sûr de l’amour de ses parents, on est armé pour la vie. Même s’ils sont partis. »
Disparition bouleversante : celle de son compagnon, Jean-Jacques, entré joyeusement dans sa vie à dix-huit ans (elle en avait presque dix-neuf). Mariage précoce, un premier enfant tout de suite.
Isabelle Fable retraverse les jours, les saisons, les couleurs d’une union de plus de quarante ans. Rythmée par trois autres naissances, les événements de la vie familiale qui s’agrandit.
« J’ai continué seule. J’avais perdu l’amour, tout un pan de ma vie avait sombré. Je devais reprendre le flambeau que nous portions à deux. […] Me battre m’a empêchée de sombrer. » Une certitude l’habite : « Un couple ne se dissout pas dans la mort. Il existe pour toujours. »
La perte la plus douloureuse, la plus cruelle, sera celle de son fils aîné. « Mon enfant, mon petit. […] Mon Olivier tourmenté ». Rongé de doutes, malgré son talent, son inventivité en lesquels il ne croyait plus. Olivier mort de désespoir, submergé par le mal de vivre, le poids des échecs, la solitude sentimentale, l’angoisse de l’avenir. Olivier, qu’elle a découvert inanimé dans sa chambre, s’étant rendue chez lui, anxieuse du silence persistant au bout du téléphone. Mort qui garde son mystère et n’en est que plus obsédante. « L’a-t-il voulue, l’a-t-il subie ? Qu’est-il arrivé ? On n’en sait rien. On n’en saura jamais rien. »
Tracer les mots comme on lancerait des passerelles, par-dessus le chagrin, entre l’absence de ceux qui ne sont plus et leur présence au creux de nous.
« Il faut pouvoir ressusciter de son chagrin. » Aller au-delà de la souffrance.
Et même retrouver le bonheur d’être.
Francine Ghysen