Ceux qui partent-partent-partent et ceux qui parlent-parlent-parlent

Véronique DEPRÊTRE, Fanchon, la dérive des incontinents, Onlit, 2019, 226 p., 17 € / ePub : 6 €, ISBN : 978-2-87560-116-2

À la suite du décès brutal de son père, une gamine se retrouve entre une mère dépressive, hors course, et sa grand-mère paternelle qui prend en charge toute la famille, dans un débordement d’énergies et de générosité qui se révèle aussi une manière de stigmatiser sa belle-fille, jusqu’à vampiriser sa petite-fille.

Le roman alterne le point de vue de Fanchon et de sa Mamy en des séquences assez courtes, pour décrire leur quotidien atypique, mais aussi leur personnalité respective. La fantasmagorie de la petite-fille n’a rien à envier à celle de la vieille dame, l’une s’exprimant dans un français truffé d’erreurs enfantines (« c’est la panade de l’âge » ; « les yeux sur le plat » ; « prendre des lessives pour des lanternes » ; « cette moto qui datait de Jérusalem » ; « la glande tyrolienne » ; « une sale monelle » ; etc.), l’autre avec verve, à coups de dictons directs et parfois assassins, notamment lorsqu’il s’agit de descendre en flèche les habitants d’une rue avoisinante que la mamy a pris en grippe. « Hors dictons, Mamy décodait le monde d’un verbe incontinent, à la manière d’émissions religieuses de service public », précise Fanchon.

Avant que ce va-et-vient narratif, Fanchon/Mamy, Fanchon/Mamy, finisse par lasser le lecteur, Véronique Deprêtre introduit deux autres personnages, en particulier Chloé, la demi-sœur aînée de Fanchon, qui vit sa vie d’adolescente avec une belle insouciance et un point de vue revigorant sur son entourage. Elle a notamment mis au point une formule matricielle et mathématique pour circonscrire sa famille dysfonctionnelle. L’autre personnage qui surgit dans cet univers très féminin est l’homme à tout faire de la situation, celui auquel la grand-mère fortunée a recours au moindre tracas : Jean-Marc. Il exècre les gosses, en particulier ceux des riches qui ne les éduquent pas et leur passent tous leurs caprices. Face au désarroi de Fanchon à la suite de la mort de son chien, il prend la gamine en affection, tente de la consoler et se rapproche de plus en plus d’elle, l’entraînant de manière ambiguë dans ses territoires secrets.

Sous des apparences souvent légères, ce roman est traversé par l’omniprésence de la mort. Pour affronter ses peurs, Fanchon a souvent recours à la pensée magique et convie à ses côtés son héroïne préférée, Fantômette. Malheureusement, la réalité s’impose souvent à la fiction et à l’imaginaire. Terrible constat que bien souvent on est obligé d’entériner quand vient le moment de quitter l’enfance :

Rien. Elle n’a rien à dire. Il n’y a pas de mots pour Fanchon, pas de mots pour l’enfant. Il y a des mots qui ne sont pas les siens. Elle a peur. Il n’y a plus de chien. Il n’y a plus de père. Il n’y a pas de mère. Pas de parrain. Ou il y en a trop. Il n’y a que ça. Qu’eux. Ceux qui partent-partent-partent et ne reviennent pas. Ceux qui parlent-parlent-parlent mais qui ne disent rien. Pas Maman. Pas Mamy. Pas Papa. C’est quoi ? Elle ne sait pas. Elle n’entend rien. Que le vide autour qui ravage, dissout et désintègre. 

Michel Torrekens