COLLECTIF L-SLAM, On ne s’excuse de rien, Maelström, 2019, 180 p., 15 €, ISBN : 978-2-87505-340-4
Le kif, déjà, à la couverture. Photo de scène: une meuf noire devant un micro, chemise boutonnée jusqu’en haut, ferme les yeux en disant son texte, dans un sourire. Le kif, ce titre : On ne s’excuse de rien! – exclamation sans risette, qu’on se le tienne pour dit – à répéter en boucle ad libitum. Le kif de compter une écrasante majorité de femmes parmi les 57 auteur.trice.s du recueil – cis et trans, valides et pas, racisées et pas, de tous les âges, de toutes les formes, les sexualités, les horizons. “Poésie & slam”: leurs textes sont issus d’ateliers d’écriture, en vue de les faire claquer sur le plateau – du coup, on les pioche, la tête fait boîte à rythmes et on se les dit parfois tout haut. La tête vient se cogner aussi, là où, peut-être, le slam libère : sur les réalités reconnues. Parce que ça envoie, les filles. Elles prennent la plume dans un grand et beau fracas qui vient exploser à la lecture: des bombes. Harcèlement, racisme, maternité, non maternité, maladie, viol, violences, chômage, burn out, enfance, vieillesse, drague, rage, autocensure bazookée 57 fois… des dagues à chaque voix. “Et j’emmerde la norme!”
Mais vous savez quoi? Profitez bien du calme avant la tempête, car il y a une chose que je peux vous promettre:
Demain arrivera et la révolution ne sera pas diffusée sur un écran plat.“La Révolution” – Jessy James LaFleur
On ne peut s’empêcher de penser, en parcourant les textes, et treize ans après sa parution, à l’incipit de King Kong Théorie, en se réjouissant franchement : on y est. Les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf – c’est-à-dire : nous toutes, en gros – occupent la place. Elles s’emparent de l’espace et on ne peut plus les ignorer. Les héritières de Despentes, mais aussi d’Audre Lorde, de Preciado, de Wittig, d’Angela Davis, de Butler, de bell hooks… il y en a partout: tu n’es pas seule.
Je suis la fille de celles qui ont rêvé d’une fausse-couche,
auxquelles personne n’a laissé le temps de reprendre leur souffle,
usées par une famille trop nombreuse ou placées au bord du gouffre.
Je suis la fille de l’eau de javel, du lait cru, des chutes,
des hérétiques et immorales faiseuses d’anges déchus.
Je suis la fille des colonisées, de celles qui ont connu le travail forcé,
des femmes violées qui ont mis au monde des bébés café-au lait,
des bébés qu’il faudra apprendre à aimer, ou bien qu’on vous retire
pour être élevés loin de leurs mères dans un pensionnat en Belgique.“June” – Joy
À l’initiative de ce recueil, on retrouve une autrice performeuse, slammeuse, une enfant-feu qui sème des graines poétiques, qui mène des ateliers d’écriture et de mise en voix féministes, qui rapte ses auditeur.trice.s avec sa puissance contagieuse depuis quelques années un peu partout. On la reconnaît : c’est Lisette Lombé, qui avec la slammeuse Joy a mis en place ce dispositif de marrainage pour aider d’autres qu’elles à mettre en mots, en public, leurs voix. De l’union généreuse de leurs talents est né le collectif L-Slam, dans lequel jeunes plumes se mêlent aux pattes confirmées : Anne Versailles, Joëlle Sambi, Catherine Barsics, Cindy Vandermeulen…
Un remède, un départ de flamme, un mantra de titane.
Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n’échangerais ma place contre aucune autre, parce qu’être Virginie Despentes me semble être une affaire plus intéressante à mener que n’importe quelle autre affaire.
“King-Kong Théorie”
Go, go, grrls.
Maud Joiret