Michel TORREKENS, L’hirondelle des Andes, Zellige, coll. « Vents du Nord », 2019, 204 p., 20 €, ISBN : 978-2-914773-91-1
L’hirondelle des Andes.
Un titre poétique, qui fait rêver.
Un roman qui entrelace les beautés fulgurantes, paysages, villes, d’un périple à travers le Pérou, et les sentiments mêlés de la jeune voyageuse qui s’y est lancée comme on relève un défi.
Pauline, la trentaine, traductrice-interprète, habitant à Bruxelles, qui est passée par la plupart des aéroports d’Europe, atterrit, après quinze heures de vol, pour la première fois en terre latino-américaine, à l’aéroport de Lima. Un voyage au long cours qu’elle a voulu accomplir pour découvrir, explorer le pays qui lui a en quelque sorte volé sa mère. Tenter de comprendre son emprise sur celle-ci, qui y a multiplié ses engagements en qualité d’infirmière bénévole, au grand dam de ses trois enfants (son mari la soutenait), avant de disparaître, voici bientôt trente ans. Un but intime qui la porte, la passionne, mais lui inspire aussi ressentiment, amertume, colère (elle la surnomme alors sarcastiquement « la missionnaire »).
Pauline, un caractère bien trempé, intrépide, déterminé, libre dans ses choix, dans ses amours, pour qui cette expédition s’est imposée comme une évidence, après la mort de son père, mais qui, pour la première fois de sa vie, hésite, doute, s’interroge.
Quel sens a cette aventure lointaine sur les traces d’Hélène, cette mère fantôme qui, au nom de ses missions solidaires au bout du monde, a abandonné son foyer ?
À Lima, de prime abord, elle se sent « plus orpheline que jamais », exilée, étrangère. Ses certitudes vacillent. Mais impossible de reculer.
Nous la suivons, de son premier rendez-vous avec Eduardo Mendoza, le directeur du CIDAP (Centro de Investigación, Documentación y Asesoria Poblacional), qui n’a pas connu celle qu’on appelle ici Helena, à sa brève rencontre, aussi surprenante qu’attachante, avec Vlad, un archéologue belge, participant à des fouilles sur un site proche qui ont déjà mis au jour d’admirables fresques de l’époque précolombienne.
Nous la voyons fraterniser avec des collaboratrices de l’association. Lucia, à l’enthousiasme juvénile. Natalia, qu’une intense et joyeuse complicité a liée à Helena, et sa fille Dora, qui ont gardé d’elle de vifs souvenirs.
À les écouter, Pauline perçoit en elles « un flux de vie qui se coltine au réel, âpre, vibrant, touchant, révoltant bien souvent. Comme si la vie vous chatouillait la conscience en permanence, vous interdisait tout assoupissement. Peut-être était-ce cet aiguillon que sa mère voulait provoquer en venant ici ? ».
Suivant les chemins parcourus par Hélène, qui avait rallié Cerro de Pasco, Pauline prend la route de cette ville minière à bord d’une vieille Pontiac jalousement entretenue par le père de Lucia qui l’accompagne, car il n’était pas question de la laisser s’aventurer seule dans la Cordillère. Elle s’émerveille des paysages montagneux, des lumières changeantes. Les deux voyageuses se laissent emporter dans une fête tourbillonnante, « carnaval des femmes » où se mêlent foi populaire et sauvagerie bon enfant.
Plus loin, elles assistent à une soirée d’hommage à des victimes des combattants révolutionnaires du Sentier lumineux. Pauline s’y sent visée par l’animosité de quelques femmes qui ne lui cachent pas leur hostilité.
Elle en comprendra la raison lors d’un long entretien avec le père Luciano, natif de Colombie, arrivé à Cerro de Pasco comme prêtre ouvrier, authentique personnage qui se partageait entre les messes en plein air et des meetings syndicaux. Un vrai révolutionnaire, jamais en soutane. Il s’exalte en évoquant toutes les belles choses réalisées avec Helena. Montre à Pauline la maternité, aboutissement de plusieurs de ses missions, « son grand œuvre ». « Se battre et agir », rappelait-elle avec ardeur.
Helena l’idéaliste, la généreuse, pour qui tout être malade, blessé, doit être soigné. Mais, dans cette région, creuset de violences, pour la majorité des habitants, elle n’aurait jamais dû porter secours aux guérilleros du Sentier lumineux.
Elle s’est résolue à s’éloigner…
Que s’est-il passé depuis ? Désemparée, Pauline poursuit sa quête.
Lors d’une brève escale à Lima, elle connaît un moment de grâce suspendu, regardant les acrobaties aériennes d’hirondelles tandis que s’élèvent un chant lointain et des voix rieuses de petites filles. L’un des oiseaux se pose à plusieurs reprises sur son épaule, et lui « siffle ses confidences à l’oreille ».
Éblouie, après les hautes crêtes de la Cordillère, par les steppes qui se déploient à l’infini, elle communie avec ces espaces qui l’imprègnent d’un profond sentiment de plénitude et de liberté.
Le roman foisonnant de Michel Torrekens laisse virevolter notre imagination, notre sensibilité. Comme volent les hirondelles des Andes…
Francine Ghysen