Vincent DELANNOY, Bruegel à Bruxelles, Samsa, 2019, 126 p., 24 €, ISBN : 978-2-87593-244-0
À l’occasion du 450ème anniversaire de la mort de Pierre Bruegel l’Ancien, décédé à Bruxelles en septembre 1569, Vincent Delannoy retrace l’effervescence créatrice des années bruxelloises. La quarantaine de tableaux, la soixantaine de dessins, les gravures laissées par le fondateur d’une dynastie de créateurs ayant fait l’objet d’une tour de Babel d’exégèses, l’auteur se concentre sur la période 1563-1568 durant laquelle, vivant rue Haute à Bruxelles, Bruegel l’Ancien crée la majorité de ses chefs d’œuvre. De la vie du peintre, très peu de choses sont attestées. En l’absence d’écrits, de lettres, la vision du monde professée par Bruegel, son rapport à la foi, au pouvoir ne peuvent être inférés que de ses œuvres. Vincent Delannoy interroge les éventuelles influences de la ville sur ses peintures, les singularités de sa production artistique lors des années fécondes. Si la période anversoise correspond à un Bruegel dessinateur marqué par l’influence de Jérôme Bosch (univers fantastique, créatures diaboliques, sens du grotesque et de la satire…), à Bruxelles, sans abandonner le dessin, Bruegel se consacrera essentiellement à la peinture.
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L’incomparable style narratif du peintre du peuple, de la vie quotidienne des paysans (et non de la cour), « la métaphysique dans la figuratif » (Max Beckmann) du paysagiste qui allia génie de la composition et de la miniature, la multiplication des scènes, des perspectives dans une composition éclatent dans les chefs d’œuvre que Vincent Delannoy analyse par cycles et non pas chronologiquement. Sept cycles sont retenus : les tableaux de 1563 (La fuite en Égypte, La tour de Babel, Dulle Griet…), le cycle des saisons (La fenaison, Chasseurs dans la neige…), les thèmes bibliques et religieux (L’adoration des Mages, Le portement de la Croix, La conversion de saint Paul…), les toiles d’hiver (Le dénombrement de Bethléem, Le massacre des Innocents…), 1566 et l’iconoclasme (La prédication de saint Jean Baptiste), les scènes paysannes et populaires (La danse de la mariée, Le repas de noces…), le retour des proverbes et derniers tableaux (La tour de Babel, La parabole des aveugles, La pie sur le gibet…). Combinant l’analyse interne des compositions picturales et les éclairages par la vie de l’artiste, établissant des passerelles, des dialogues entre toiles, accompagné de reproductions, l’essai démultiplie les lectures afin d’approcher la multitude de scènes, la dramaturgie des avant-plans, moyens-plans et arrière-plans que Bruegel l’Ancien dispose de façon virtuose. « Chaque détail est un monde en soi », une saisie sur le vif de la condition humaine à une époque où « l’homme fait partie de la nature et la nature fait partie de l’homme ». L’essai soulève l’épineuse question de la foi chez Bruegel, de ses convictions religieuses, question qui a tant divisé les spécialistes. S’appuyant sur la symbolique eucharistique du Portement de la croix, sur la figure de Marie dans de nombreux tableaux, l’auteur réfute la thèse d’un Bruegel partisan de la Réforme.
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Nuances des gris des scènes nocturnes rehaussées d’éclats intimistes, paysages à perte de vue emportés dans des cieux, des montagnes, des mers, qui jouent sur le proche et le lointain, la dissolution du visible par des poudroiements de lumière annonçant « une sensibilité impressionniste » (Françoise et Philippe Roberts-Jones)… La promenade bruegelienne s’achève sur les traces du peintre à Bruxelles, sa sépulture à l’église Notre-Dame-de la Chapelle, les tableaux aux Musées Royaux des Beaux-Arts, les estampes conservées à la Bibliothèque Royale de Belgique.
Véronique Bergen