Bob GARCIA, Tintin. Du cinéma à la BD, Desclée de Brouwer, 2019, 273 p., 19,50 €, ISBN : 978-2-220-09615-5
Sur les connivences entre le cinéma et les Aventures de Tintin, l’on disposait déjà de multiples indications, grâce aux entretiens d’Hergé avec Benoît Peeters et Numa Sadoul, ou encore aux essais de Philippe Lombard et de Bob Garcia. Or, plus obstiné que les précédents, ce dernier a consacré de longues années à creuser le sujet avec une minutie entomologique, tout en élargissant son enquête aux tribulations des Totor, Quick et Flupke, Jo et Zette. Ainsi nous offre-t-il aujourd’hui un volume d’une érudition impressionnante – mais dont la profusion même, comme il était à craindre, n’est pas toujours bien maitrisée. La méthode adoptée semblait pourtant garante de rigueur, avec ses cinq étapes successives :
– repérer les grands acteurs et réalisateurs appréciés d’Hergé ;
– dater leurs films sur trois quarts de siècle (1910-1986) ;
– noter les corrélations entre les dates de sortie des films et celles des albums ;
– grâce notamment à You Tube, visionner tous les films ainsi sélectionnés ;
– détecter les concordances les plus manifestes entre films et albums.
Les résultats de cette recherche ont été regroupés par B. Garcia en trois grandes parties – une tripartition un peu bancale, avouons-le. La première, plutôt biographique, retrace l’apprentissage cinématographique du jeune Georges Remi, où les salles bruxelloises, revues de cinéma et ciné-romans jouent un rôle important. Les burlesques américains (Buster Keaton, Harold Lloyd, Laurel et Hardy, Charlie Chaplin, les Marx Brothers) lui révèlent l’intérêt de deux grands procédés narratifs : la course-poursuite et le comique visuel. Leur influence se fera sentir durablement dans les albums de Tintin. Mais la curiosité du futur Hergé s’élargit bientôt à d’autres genres : le policier, l’espionnage, les histoires de pirates ou de guerre, les films d’horreur, le western, tous récits dominés par l’action physique et un tempo rapide plutôt que par l’intériorité mentale…
La deuxième partie de l’ouvrage, à la fois la plus brève et la plus hétéroclite, évoque d’abord des grands moments de l’histoire du cinéma auxquels font allusion les livres d’Hergé. S’ensuit un intéressant inventaire des procédés « cinématographiques » qu’il adopte en dessinant : ellipse, mobilité de la « caméra », rythme narratif soutenu, flash-back, plan-séquence unique, couverture en « affiche de cinéma ». Enfin, l’auteur recense les analogies – en effet frappantes – entre l’œuvre d’Alfred Hitchcock et celle d’Hergé, tous deux étant obsédés par la rigueur du scénario, la clarté du fil narratif, l’élagage des temps morts, l’effet à produire sur le spectateur, le recours à la coïncidence et à l’invraisemblance, la création du suspense, l’humour, l’utilisation dramatique du décor, l’opposition bon/mauvais, etc. Et l’essayiste de conclure sans ambages : « Hergé est le Hitchcock de la BD » !
Dans la troisième partie, de loin la plus longue, B. Garcia passe en revue par ordre chronologique les albums d’Hergé, en signalant les moindres emprunts ou réminiscences décelables. L’inventaire est forcément un peu fastidieux, avec diverses redites par rapport aux pages précédentes ; pourtant, s’il mêle certitudes et hypothèses, ces dernières restent toujours argumentées et plausibles, même quand il met au jour des parentés jusqu’ici inaperçues. Parmi les films les plus « inspirateurs » se détachent Les Espions et les deux épisodes des Araignées (F. Lang), la série des Charlot, Les conscrits (Laurel et Hardy), La croisière du Navigator et la série des Malec (B. Keaton), King Kong, les exploits de Sherlock Holmes, Les 39 marches (A. Hitchcock), Une nuit à l’opéra et autres aventures des Marx Brothers… Mais l’index en fin de volume recense pas moins de 250 titres ! À lui seul, il suffirait donc à démontrer la forte emprise du langage cinématographique sur la création hergéenne.
Bref, B. Garcia a réalisé un travail méritoire et souvent éclairant. Tributaire de son projet encyclopédique et de ses abondantes trouvailles, il nous livre toutefois un exposé quelque peu décousu. Au terme d’une si longue quête, sans doute a-t-il été tenté de tout mentionner, mettant ainsi sur un même pied l’essentiel et l’anecdotique. Les influences cinématographiques les plus significatives sont certes mises en évidence au gré des chapitres et des pages : prédominance de l’action, rythme rapide, élimination du superflu, scénario de la course-poursuite, « respirations » comiques, travail sur le personnage du méchant, etc. À ce point de vue, l’iconographie de l’ouvrage est frustrante : si les images extraites de films sont nombreuses, les vignettes des albums de Tintin, avec lesquelles une mise en parallèle eût été instructive, sont totalement absentes. La Fondation Moulinsart serait-elle passée par là ?
Daniel Laroche