Hommage d’un destin cousu main à un costume prêt-à-porter

Un coup de cœur du Carnet

Nathalie SKOWRONEK, Un monde sur mesure, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2019, 219 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-423-3

Dans la collection Espace Nord, les classiques de la littérature belge des siècles passés côtoient ce que Tanguy Habrand, son directeur, aime à appeler « les classiques de demain ». Parmi ces derniers, Un monde sur mesure de Nathalie Skowronek, tout jeune roman datant à peine de 2017, d’une autrice dont la bibliographie démarre en 2011. Dans ce récit en grande partie autobiographique, l’écrivaine se penche précisément sur ce qui a précédé sa carrière littéraire.

« Je sais qu’on peut occuper sept années de sa vie à un travail qui ne nous ressemble pas, et qu’on peut le faire bien. » Dès la première phrase, le ton est donné : la narratrice donne un coup de projecteur sur un monde qui à la fois est le sien, celui dans lequel elle a grandi, et auquel, en même temps, elle ne se sent pas appartenir. Car avant d’entrer en littérature, Sancha, comme elle se surnomme en référence au compagnon de Don Quichotte, perpétue un temps la lignée de vendeurs de prêt-à-porter initiée par son arrière-grand-mère et, si on remonte plus loin, héritée des tailleurs juifs de Pologne.

La narratrice revient sur l’histoire familiale, retraçant pour commencer les débuts de ses aïeux en tant que commerçants. Les magasins de ses parents occupent ensuite le devant de la scène. Une scène sur laquelle elle apparaît enfant puis adolescente, avant d’assumer un rôle professionnel prédestiné, dans ce décor si familier qu’elle peine à en imaginer un autre. Et c’est finalement ce décor et son évolution qui sont au centre de l’histoire et auxquels elle rend hommage.

Les descendants des survivants de la Shoah, le poids de l’héritage, l’identité juive, le déterminisme familial et surtout le monde de la confection et du commerce de prêt-à-porter et son évolution à la fin du 20e siècle sont autant de thèmes abordés dans Un monde sur mesure, tantôt à travers images et anecdotes, tantôt analysés avec plus de distance ou illustrés de phrases d’autres auteurs. L’équilibre proposé est efficace : on se laisse emporter par le récit, tout en s’imprégnant des réflexions dont l’autrice le ponctue. Le tout est emmené par un style remarquable, dont l’esthétique est toujours au service du propos : on savoure l’écriture autant que l’on se passionne pour cette immersion dans le commerce de l’habillement.


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La postface de Françoise Chatelain s’emploie à situer Un monde sur mesure au sein de la trilogie écrite par Nathalie Skowronek (les deux premiers ouvrages étant Karen et moi et Max, en apparence) et à revenir sur les grandes thématiques. Dans l’entretien qui complète cette réédition, l’autrice évoque entre autres l’entrelacement de réalité, d’amplification et d’imagination dont sont faits ses romans. « Ce qui est troublant, lorsqu’on travaille avec des éléments réels, c’est qu’on ne sait plus toujours ce qui a été inventé, exagéré, transformé. » On y reçoit la confirmation, si un doute subsistait, que Sancha est bien un double littéraire de l’écrivaine. Et on mesure d’autant mieux le chemin parcouru depuis ce « travail qui ne lui ressemblait pas » jusqu’à ce « classique de demain ».

Estelle Piraux