Archives par étiquette : Hergé

« Ce Milou… Quel type ! »

Un coup de cœur du Carnet

Renaud NATTIEZ, Milou. Humain, trop humain, Impressions nouvelles, coll. « La fabrique des héros », 2022, 139 p., 13 € / ePub : 7,99 €, ISBN : 978-2-87449-940-1

nattiez milou humain trop humainEn tintinophile patenté, Renaud Nattiez poursuit ses coups de sonde dans l’univers hergéen. Après avoir opéré un astucieux rapprochement entre le bédéaste bruxellois et le chansonnier libertaire Brassens, voici qu’il consacre un essai au poil à un véritable monstre sacré de la « Comédie humaine » sortie du cerveau de Georges Remi : Milou.

Présenté comme un « sympathique cabot », son nom apparaît en janvier 1929 dans l’incipit de Tintin au Pays des Soviets et sa silhouette, dès la deuxième case. En quatrième case, l’air dépité, il prononce sa première phrase : « J’ai entendu dire qu’il y avait des puces là-bas ». Un on-dit dénotant d’emblée la tonalité qui va s’imposer au fil des albums – du moins jusque dans les années de guerre, période où Milou perd de son importance narrative et passe au second plan, relayé par le tonitruant Haddock. Continuer la lecture

Hergé au pays de l’occulte : Arnaud de la Croix reporter du 21e

Arnaud DE LA CROIX, Hergé occulte. La ligne sombre, Préface de Numa Sadoul, Camion noir, 2021, 242 p., 28 €, ISBN : 978-2-37848-264-0

de la croix herge occulteHergé, ses personnages, les composantes ésotériques, hermétiques de son œuvre ont fait couler tant d’encre, donné lieu à tant d’exégèses que le capitaine Haddock doit avoir inventé, depuis la mort de son créateur, un florilège de jurons amusés, admiratifs ou agacés. Dans Hergé occulte. La ligne sombre, l’historien et essayiste Arnaud de la Croix ne dépose pas une pierre de plus à l’édifice des études consacrées à l’occultisme, l’alchimie, le paranormal dans les albums Tintin. Continuer la lecture

Georges Brami et Georges Ressens

Renaud NATTIEZ, Brassens et Tintin. Deux mondes parallèles, Impressions Nouvelles, 2020, 190 p., 17 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 9782874497476

Quoi de plus dissemblable, si ce n’est incompatible a priori, que les univers de Georges Remi, alias Hergé, et de Georges Brassens ? L’esthétique de la ligne claire du Bruxellois et les valeurs morales qu’elle illustre s’accommodent-elles des filles de joie, quadrumanes en rut, matrones aux mamelles matraqueuses de cognes et autre nonette nymphomane qui se rencontrent dans les compositions du Sétois ? Un récent essai publié aux Impressions Nouvelles tente d’établir le parallèle, non pas entre deux hommes, mais bien entre les démarches créatives de deux esprits qu’une commune liberté caractérise. Et la démonstration, de si hasardeuse qu’elle pouvait apparaître au départ, s’avère convaincante, à sa mesure. En effet, on sent que Renaud Nattiez s’est avant tout plu à évoquer, dans un même ouvrage, ses passions les plus ardentes, afin de les communiquer conjointement au public. Le rapprochement n’est donc pas forcé, mais doit, pour être pleinement savouré, s’aborder comme le partage d’une dilection, d’un goût, et non comme une étude à prétention démonstrative. Continuer la lecture

Bande ciné, bande dessinée

Bob GARCIA, Tintin. Du cinéma à la BD, Desclée de Brouwer, 2019, 273 p., 19,50 €, ISBN : 978-2-220-09615-5

Sur les connivences entre le cinéma et les Aventures de Tintin, l’on disposait déjà de multiples indications, grâce aux entretiens d’Hergé avec Benoît Peeters et Numa Sadoul, ou encore aux essais de Philippe Lombard et de Bob Garcia. Or, plus obstiné que les précédents, ce dernier a consacré de longues années à creuser le sujet avec une minutie entomologique, tout en élargissant son enquête aux tribulations des Totor, Quick et Flupke, Jo et Zette. Ainsi nous offre-t-il aujourd’hui un volume d’une érudition impressionnante – mais dont la profusion même, comme il était à craindre, n’est pas toujours bien maitrisée. La méthode adoptée semblait pourtant garante de rigueur, avec ses cinq étapes successives : Continuer la lecture

Tintin et la conquête spatiale

HERGÉ, Tintin et la lune. Objectif lune. On a marché sur la lune, double album, Casterman, 2019, 128 p., 19,90 €, ISBN : 978-2-203-19880-7

À l’occasion du cinquantième anniversaire des premiers pas de l’homme sur la Lune, Casterman réédite en un double album Objectif Lune et On a marché sur la Lune d’Hergé. Visionnaire, doté d’une intuition toute « tournesolienne », Hergé prépublie ces deux albums entre 1950 et 1953 dans les pages du journal Tintin. Conçus dans les années après-guerre, publiés respectivement en 1953 et 1954, les récits Objectif Lune et On a marché sur la Lune devancent de quinze ans la mission Apollo 11 et les premiers pas de Neil Armstrong sur le satellite de la Terre, le 21 juillet 1969. À une époque où la conquête spatiale relevait encore de la science-fiction ou était à tout le moins  balbutiante, Hergé embarque son petit reporter dans des aventures stellaires. Nombre de spécialistes d’Hergé ont relevé l’énorme travail documentaire, les conseils scientifiques, techniques qu’il reçut, notamment de Bernard Heuvelmans. Continuer la lecture

Le dessinateur de papier et le roi de carton : roman sur grand écran

Un coup de cœur du Carnet

Patrick ROEGIERSLe roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur, Grasset, 2018, 304 p., 20 €, ISBN : 978-2-246-86021-1

roegiers le roi donald duck et les vacances du dessinateurCe plat pays qui n’est plus tout à fait le sien puisqu’il est devenu français continue néanmoins d’obséder textuellement l’écrivain Patrick Roegiers à travers quantité de ses ouvrages, romans comme essais divers. Même si la Belgique, son pays d’origine, n’est pas nommé dans Le roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur, titre ô combien inattendu mais éclairant pour le lecteur par le ton qu’il donne, Patrick Roegiers revisite selon la bonne habitude qui est devenue la sienne nos mythes belgicains pour les déconstruire par le biais d’un décalage de perspectives, en les déboulonnant du piédestal où certains les ont parfois élevés. Cette fois, le roi Léopold et le dessinateur Hergé. Continuer la lecture

Vestiges des jours…

Un coup de cœur du Carnet

Alain DARTEVELLE, Dans les griffes du Doudou, Ker, coll. « Belgiques », 2017, 132 p., 12 €/ePub : 5.99 €, ISBN : 978-2-8758-6218-1

dartevelle dans les griffes du doudou.jpgDébarqué du futur où il aime aventurer son écriture à la fois imagée, directe et stylée, Alain Dartevelle promène sa plume dans un  nouveau recueil de nouvelles et dans un passé proche. Le sien, lié forcément à celui de la Belgique, ce pays multiple qui prête son nom à la collection mise en œuvre  par les éditions Ker. Promenade donc, dans une mémoire personnelle, folâtre, amère parfois, teintée de nostalgie, largement ouverte à l’amitié, volontiers voluptueuse, mais aussi désenchantée et imprégnée de cet « humour gris » dont l’auteur revendique le label. Pour l’introduire : des évocations subjectives de ces deux têtes de gondole de notre vitrine culturelle que sont Hergé et Magritte. Autoportrait désabusé pour le premier : celui de l’artiste en fin de vie, ravagé à la fois par  la leucémie et par les interrogations sur son œuvre et sur sa créature centrale : « Tintin m’a vampirisé, me soutirant titre après titre, planche  après planche, case après case, mes forces vives. Cette belle énergie qui m’a manqué ensuite pour virer de bord et mettre le cap sur mon for intérieur ».  Dans Signé Magritte, on suit avec une coupable jubilation l’odyssée d’un quidam (serait-il un de ces doubles de l’auteur qui se multiplient à travers le recueil ?) pour qui l’ombre du peintre flotte entre un statut révolu d’idole de sa jeunesse et une stature de petit-bourgeois rondouillard, de « sale type », méticuleux faiseur de  chromos aléatoires, et par ailleurs épris de canulars scatologiques. Sus donc à l’imposteur ! Et l’on assiste ainsi, impuissants, mais admiratifs face à tant de détermination,  à l’attentat au purin perpétré contre quatre toiles lors de l’exposition bruxelloise. Attentat suivi toutefois de regrets : il avait eu pour cibles les toiles les plus caustiques de l’artiste. « De quoi méditer à loisir sur les risques que comporte la fâcheuse tentation de mettre à jour des secrets d’enfance… »   Continuer la lecture

« Avant son départ, Tintin s’est fait équiper au Bon Marché ! »

Jean-Claude JOURET, Hergé et la publicité, Neufchâteau, Weyrich, 2016, 200 p., 32 €

jouretS’il est entre Magritte et Hergé un point commun autre que leur enracinement en Belgique, c’est le début de leurs carrières respectives dans le domaine publicitaire – ou plutôt de « la réclame » comme l’on disait à l’époque où une boutique vous engageait à lui fignoler son enseigne. Ainsi Magritte, d’avoir silhouetté des mannequins de bois pour le compte de certain styliste, convoquera-t-il dans plusieurs tableaux le motif énigmatique de ces membres en forme de quille. Pour Hergé, la publicité est davantage qu’une lointaine et anecdotique source d’inspiration ; elle est avant tout un banc d’essai de sa pratique artistique. Dans ses albums, elle tient plusieurs rôles : élément discret mais essentiel du décor, elle participe souvent à l’ironie du propos, définit un univers mental et un ton, jusqu’à parfois se muer en authentique ressort narratif. Continuer la lecture

Hergé : les raisons d’un malentendu et d’un succès

Renaud NATTIEZ, Le Mystère Tintin. Les raisons d’un succès universel, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 370 p., 22 €/ePub : 13.99 €

Qu’elle est ingrate, l’admiration que l’on voue à Hergé, et plus particulièrement à son personnage principal. Voici un énième ouvrage portant sur ce que l’on est en droit d’appeler un monument du patrimoine immatériel belge, et dont l’auteur, pour « des raisons indépendantes de sa volonté », a dû se résoudre de traiter sans aucun appui graphique autre que les couvertures des albums ! Dès lors, l’essai, si pénétrant soit-il, ne s’adresse qu’à un public de fanatiques, ayant quasi mémorisé l’ensemble des cases et des bandes (respectivement désignées par des chiffres arabes et romains) des vingt-quatre titres, ou alors de courageux, qui prendront la peine de se reporter systématiquement à leur précieuse collection pour vérifier la pertinence du propos. Continuer la lecture