Poésie, va, je ne te hais point

Daniel VANDER GUCHT, Pourquoi je n’écris plus de poésie, dessins de Xavier Noiret-Thomé, Lettre volée, 2019, 78 p., 19 €, ISBN : 978-2-87317-528-3 ; Sous influence, aquarelles de Damien De Lepeleire, Lettre volée, 2019, 176 p., 25 €, ISBN : 978-2873175290

Pourquoi je n’écris plus de poésie repose sur un double mouvement, une aspiration romantique à une poésie oraculaire lors de l’adolescence et une déconstruction rock de la posture du poète-mage. Rythmés par les dessins sauvages de Xavier Noiret-Thomé, les textes sont taillés comme des chants, des uppercuts rock’n roll innervés par l’absurde. Écriture automatique, cut-ups burroughiens concourent à mettre en œuvre un surréalisme du quotidien. Ce n’est qu’à la fin du recueil que nous apprenons qu’à l’exception des quatre derniers textes composés récemment, l’ensemble a été rédigé par Daniel Vander Gucht à l’adolescence. En son essence, davantage que les autres arts, la poésie est tiraillée entre la postulation de sa mission et le renoncement à elle-même, écartelée entre l’absolu de sa visée et le hara-kiri. L’exhumation de textes écrits dès l’âge de quinze ans s’assortit à un abandon ultérieur de la poésie. La percutance dans l’auscultation des signes, le parfum de ballade rock, la radiographie du « zoo humain », d’un monde qui dérape donnent la tonalité du recueil.

Très tôt j’ai écrit de la poésie
Comme pour entrer à reculons dans la vie
Puis me suis tu sans déplaisir
Pour jacasser à loisir 

L’aventure du verbe s’inscrit dans une quête d’étourdissement, d’éblouissement. La poésie est vécue comme une amulette pour grimper dans un radeau à l’écart du train du monde. Si la poésie se voit louée, idéalisée, elle est également soumise à une entreprise de désacralisation. Si ses promesses brillent dans le cœur de l’adolescent, son front est tatoué d’un « No future ». Romantisme et punkitude, attrait pour « le monument aux mots » et méfiance, distance envers ses charmes de sirène vont de pair. Traverser les vapeurs du lyrisme, « la beauté d’une phrase qui roule » permettrait peut-être de gagner la vie là où la poésie s’en écarte ?

Traversée du vide sidéral
          Plus d’absolu prétendu
Au rancart l’innocence perdue
A mort la vertu rance
Alors peut-être
          La vie… 

Explicitée par certains titres (« Coney Island baby revisité », clin d’œil à l’album Coney Island Baby de Lou Reed), la facture métaphysique rock des textes annonce ce qui deviendra plus tard une des passions de Daniel Vander Gucht, sociologue, professeur à l’ULB, éditeur : l’écriture de chansons, dans une longue tradition qui va de Clément Marot, Aristide Bruant à Ferré, Brel, Barbara, Gainsbourg, Lavilliers, Damien Saez, Christine and the Queens… Accompagné d’aquarelles de Damien De Lepeleire, faisant suite à Robert, va te coucher (Lettre volée, 2019), le recueil Sous influence se compose de chansons dont certaines ont été mises en musique par André Goldberg. La poésie abandonnée il y a trente ans revient métamorphosée sous la forme de chansons. La musique des origines est celle du rythme, du souffle, du tempo, des sons nus et rauques avant de s’infléchir en concepts, en architecture et en formes rhétoriques. Un même fleuve, le Verbe, se fibre en divers affluents qui le nourrissent en retour.

Véronique Bergen