Un nuancier de l’âme

Véronique WAUTIER, Allegretto quieto, Arbre à paroles, 2020, 190 p., 15 €, ISBN : 978-2-87406-691-7

Si les mots ne libèrent que l’ombre
Où toujours je dépose mes pas
J’aurai marché sur un leurre bavard. 

Douceur et douleur, floraison et fenaison, ténuité et ténacité : ainsi s’articule le jardin de Véronique Wautier. Il faudrait presque imaginer ce jardin comme un coquillage bivalve, se tenant tout entier dans la main et contenant l’espérance. Il faudrait aussi l’imaginer aussi vaste que le silence qui était, pour Véronique Wautier, tantôt un sécateur et toutes les douleurs dedans, tantôt une respiration qui déborde, non, qui borde plutôt.

Nu mon amour
Avec quels autres mots
Vais-je habiller
Le poème ? 

Dans Allegretto quieto, entre la mer et le ciel, entre le rouge et le bleu, entre l’hiver et l’été, se déploient le vol des oiseaux, le « courage des fleurs », le « désir qui sourd discrètement » et le souffle de la parole. S’écoule aussi le temps, le silence et l’eau. Les poèmes de Véronique Wautier empruntent en effet à l’oiseau ses ailes, aux saisons leur mélange, à l’eau sa fluidité, aux fleurs leurs couleurs, leur force de croissance et leur résilience. Le jardin de Véronique Wautier est un nuancier de l’âme – ce que met en lumière cette anthologie parue aux éditions L’Arbre à paroles, qui réunit trois ouvrages de la poétesse parus aux mêmes éditions : Douce la densité du bleu (2002), Tout est jardin (2004) et Une petite fable rouge (2006).

Il faudrait presque imaginer un conciliabule réunissant Rilke, Cortazar et Claude Roy (respectivement cités en exergue de chacune des parties composant l’anthologie), auquel viendrait se joindre Véronique Wautier. Elle leur chuchoterait qu’il est « tant […] d’éternité / dans le frêle », qu’il y a toujours « quelque chose de très fragile / dans le fort » et que « les douleurs absolues / sont des intouchables / seule la joie le peut ». Elle nous chuchote encore qu’il est « ténu d’honorer le monde / par la fragilité ». Allegretto quieto.

Tant qu’il y aura des lunes
Et ce poème
Il y aura douces lèvres
À leurs contours

Et des aubes à serrer
Dans les bras. 
          

Sans doute plus que quiconque au sein de la poésie belge, Véronique Wautier aura donné à cet état louvoyant entre veille et sommeil l’espérance du rêve : là, dans le retrait au sein d’un jardin et pourtant toujours dans le vif du monde et dans son lancinant, il est toujours possible de déposer les noms, leur tendresse et nos fêlures. La poétique de Véronique Wautier est une poétique de la matérialisation, en prenant toutefois soin d’éviter tout anthropocentrisme : la pluie matérialise les larmes, l’étendue matérialise la vie même, et les couleurs toutes les nuances du vivant, en deçà des noms.

Je préfère le basilic à son nom
Je le préfère cent mille fois
Sa couleur sa senteur sa grâce
Sa peau fière et rieuse
Ses noces avant mes plats 

Calme et un tout petit peu moins vif que l’allegro, l’anthologie Allegretto quieto est à l’image de l’empreinte que laisse certainement Véronique Wautier dans les mémoires. Du doux, du jardin et de la couleur : le tactile de la parole, confinant à la caresse, la force de croissance et l’épaisseur donnée aux choses par toutes les nuances du monde (du rouge, du bleu, de la « rose trémière », du violet, du « mésange et du noir »).

L’enfance entre vos mains
Telle une île en mer

Passent les ombres
Elles vous convient
À l’espérance

Je veux pour vous
Des éternellement. 

Allegretto quieto, chère Véronique.

Charline Lambert