William CLIFF, Le temps suivi de Notre-Dame, Table ronde, 2020, 128 p., 15 €, ISBN : 979-10-371-0650-6
Il est une des modalités de la lecture qu’Umberco Eco regrettait mais estimait inévitable : le titre d’un livre s’avère presque toujours déjà une clef interprétative. Ainsi se prépare-t-on, peut-être, à lire LE TEMPS suivi de NOTRE-DAME comme une réflexion philosophique versifiée (au regard de l’indication générique : Poésie) prolongé d’un hommage à la cathédrale parisienne dont la flèche et une partie du toit ont été détruits il y a un an. Une fois le livre ouvert et six pages tournées, en découvrant que le titre dédié à la première et principale partie du recueil a perdu ses capitales (même à l’initiale) pour devenir le temps, on recadre.
On se recale. On se rappelle que William Cliff a toujours rechigné aux majuscules ; que ses vers commencent le plus souvent par une minuscule, « une façon de ne pas élever la voix, de rester au plus bas »[1]. On reconnaît la tension qui lui est coutumière, celle d’une métaphysique, non pas abstraite, mais attachée à l’état quotidien, à la vie commune de tous les frères humains et miséreux (même si le poète se vit, ainsi que tout un chacun, comme un des plus malheureux d’entre eux). Et les premiers vers lus,
Cette année-là j’avais été à la recherche
d’un appartement pour avoir ma vie à moi
car à un certain âge on voudrait que la herse
du temps arrive à tout racler dans son charroi,
confirment que l’on retrouve la vie vécue de William Cliff, une vie travaillée par l’emprise du temps (et par la douleur, la solitude, la honte… aussi). Lyriques et réalistes, les poèmes exacerbent le plus haut du ciel et le plus bas sur terre, l’immortel et le périssable, le corps et sa déchéance. Ils abordent aussi la météorologie – il est beaucoup question de la froidure de l’hiver ainsi que de chauffage (on y reviendra). Cette fois encore, le principe narratif est celui de la remémoration, véritable moteur de son écriture, ainsi que le rappelait Gérald Purnelle dans la postface de l’anthologie parue dans la collection Espace Nord, à l’automne dernier. Dans la quasi-totalité de cette partie, qui se lit comme un roman autobiographique en décasyllabes et alexandrins, William Cliff se souvient. De ses années de professorat dans le secondaire (on se réjouit de belles scènes de classe, notamment celle où il a sauvé la mise, lors de la visite d’un inspecteur, en racontant la vie du « garnement » Rimbaud) et de son logement – devenu littérairement mythique – de la rue du Marché au Charbon au centre de Bruxelles, sis sous les toits et dans un piteux état (à ce qu’il prétend), au loyer minime. Parfois il y reçoit un garçon, lui cache le fin lettré qu’il est pour se laisser tout au plaisir des corps ; le plus souvent il s’échappe de son confinement. Jamais loin : il va au travail, se rend dans une exposition ou un parc bruxellois, dans des bars nocturnes, part en excursion belge (Eeklo, Gheel), pérégrine dans un documentaire télévisé. Parfois on l’accompagne dans un restaurant de Dijon, une gare à Lodi, en Angleterre où il rêvait à des garçons dans les années cinquante. Même en souvenir, les grands voyages qui ont nourri nombre de ses recueils semblent achevés ; terminées les errances infinies. Ici, les poèmes les plus étonnants (et ceci dit sans ironie aucune) abordent les affaires domestiques, notamment celles des poêles au charbon et des radiateurs à gaz :
les hommes m’expliquèrent comment l’appareil
fonctionnait, comment faire marcher la veilleuse
quand il fallait relâcher le bouton et quel
autre bouton tourner pour la joie merveilleuse
de voir la flamme rougir des galettes blanches
derrière la vitre et vous donner l’impression
d’un feu ouvert qui flambe et donne dans la chambre
un spectacle plus beau que la télévision :
Notre-Dame, la deuxième partie du recueil n’est ni un texte écrit après l’incendie de l’édifice ni un inédit mais la republication d’un extrait du recueil Adieu patries (éditions du Rocher), qui avait alors pour titre : Automne 1996. Long de quinze dizains (une forme que William Cliff s’est souvent imposé comme dans Conrad Detrez, Le pain quotidien…), le poème est tel un tableau figurant le poète, pécheur errant « dans le désarroi » venant, de strophe en strophe, offrir, en larmes, à genou, ses vers, chercher sérénité, pardon, protection et la voie de Dieu, pour lui et « Pour tous les hommes, pour toutes les femmes / pour les enfants où qu’ils soient dans le monde ». Aujourd’hui que la flèche « dressée en bord de Seine », « qui fend les vents et ne fléchit jamais » n’est plus, la réédition du poème apparaît, au-delà de l’hommage, comme un message particulier du poète aux hommes et au divin. À défaut d’en avoir la clef, elle est l’occasion de célébrer la plume du plus familier et extra-ordinaire de nos poètes.
Michel Zumkir
[1] Thierry GUICHARD, « Jouissifs carcans », dans Le matricule des anges, n°83, mai 2007.