Une petite lumière dans la nuit

Dominique MEESSEN, Qui cherches-tu si tard ?, Academia, 2020, 195 p., 8.90 €/ ePub : 13.99 €, ISBN : 978-2-806-10511-0

Le récit de Dominique Meessen débute par la fugue de Victor, un pédiatre retraité atteint de la maladie d’Alzheimer. Il quitte la maison de repos et se réfugie dans la forêt, par manque de confiance aux soignants qui l’infantilisent, mais aussi pour poursuivre un souvenir qui l’habite depuis cinquante ans.

Cette fugue bouleverse l’équilibre familial : Brigitte, la fille de Victor, bascule dans l’inquiétude pour ce père avec qui elle a eu une relation ponctuée de reproches et de non-dits. Les souvenirs affluent, notamment la jalousie éprouvée pour les petits patients de son père qui passaient toujours avant elle. On sent la blessure de chacun et l’incompréhension suscitée chez le père et la fille, les manques et les regrets.

Le mari de Brigitte est quant à lui plutôt encombré par la disparition de son beau-père. Il est devenu distant avec sa femme, concentré sur son travail et troublé par l’épouse de son patron. Leurs enfants et l’unique petit-fils sont eux aussi extraits de leurs petits problèmes personnels pour être parachutés dans la recherche du fugitif.

Qui cherches-tu si tard ? est un roman d’atmosphère où quatre générations d’une même famille se retrouvent pour chercher Victor et découvrir un peu plus ses parts obscures et sa quête éperdue, ce qui est une belle occasion pour tous de mieux comprendre la relation qu’il a tissée avec sa fille.

Le récit est parcouru de nombreux retours en arrière où l’on découvre un Victor jeune, prisonnier de guerre dans un stalag qui a aidé une Allemande à accoucher d’une petite Elsa tombée malade peu après sa naissance. Transféré dans un autre camp, il n’a jamais pu revoir Elsa et savoir si elle avait survécu. Cet événement est devenu une obsession pour lui, une obsession qui l’a fait survivre à la guerre, qui l’a fait patienter avant de voir sa fille Brigitte pour la 1ère fois à l’âge de 3 ans et demi et qui a déterminé son choix de spécialité dans ses études de médecine. S’exprimant à la deuxième personne, Victor manifeste l’étrangeté de ce qui l’habite, rendant palpable la peur de sentir qu’il s’échappe à lui-même.

Elle te parle. La forêt te parle.
« Maintenant que tu es perdu, murmure-t-elle, tu as une chance de la retrouver. »
Tu comprends que c’est ta dernière chance.
C’est ce que la forêt te dit.
Toute ta vie, tu l’as cherchée.
Tu l’as cherchée à perdre haleine.
Ton ange.
Ton ombre.
À travers ces dizaines, ces centaines d’enfants, plus encore, que tu as
soignés.
Plus, il t’en fallait toujours plus.
Tu étais affamé.
Et au plus ils étaient malades, au plus ils avaient besoin de toi, au
mieux c’était.
Ce n’était pas encore assez.
Un ogre.
Tu étais devenu un ogre.
Ce ne serait jamais assez. Tu perdais pied.
Mais tu ne pouvais pas abandonner.
Même pas lorsqu’un enfant mourait.
Trois fois. C’était arrivé trois fois.
À chaque fois, la même détresse insondable.
À chaque fois, leur regard.
Tu allais les guérir, les sauver, disait, demandait leur regard. Jusqu’au
bout.
Leur regard que transperçait cette conscience aiguë que la vie était en
train de quitter leur corps.
Leur regard te hantait.
Il n’y avait aucune réponse.
Tu t’effondrais.
Jamais tu ne pourrais te relever.
Tu te relevais.

L’ombre d’Elsa n’a jamais quitté Victor, il a fugué à plusieurs reprises pour tenter de la retrouver, le cœur mangé par sa disparition. Elle a été le fil ténu qui l’a fait survivre à la guerre et son traumatisme, donnant un sens à l’insensé, mais donnant aussi une coloration indélébile à sa relation avec sa propre fille.

Le roman de Dominique Meessen est une histoire douce et mélancolique qui aborde avec une grande justesse et une belle pudeur l’amour, la transmission transgénérationnelle, la vulnérabilité de l’être humain, l’oubli et le temps qui passe.

Séverine Radoux