En exil dans l’exil

Omar BERGALLOU, Maroxellois, Couleur livres, 2020, 140 p., 14 €, ISBN : 978-2-87003-8841-9

Omar Bergallou est né au Maroc, dans un quartier pauvre de Tanger, au milieu des années soixante. Il y passe les tout premiers temps de sa vie, et plus tard, de brefs séjours de vacances ; il n’a guère vécu de ce côté-là de la Méditerranée. Quand il a six mois, la famille émigre en Belgique où le père travaillait déjà comme coffreur-ferrailleur. Et c’est là, en Belgique, sous le ciel gris de Bruxelles, qu’il a continué à vivre, et qu’il vit aujourd’hui encore. A-t-il ressenti l’excitation ou la douleur du départ, la brûlure tranchante de l’adieu à la terre ? Sa mère dira que sur le bateau reliant l’Afrique à l’Europe il hurlait de toute sa voix comme si son âme voulait sortir de son corps. Quoi qu’il en soit, quelle qu’ait été, nourrisson, sa perception de l’éloignement, il est devenu, malgré tout un : exilé.

Oui, un exilé, il est. Un être fragmenté. Un-toujours-errant entre deux cultures, dans l’entre-deux de ses cultures, la familiale et l’adoptée, où il se cogne parfois aux parois. Pour y échapper, il a choisi la rue. Terrain de jeu enchanté de l’enfance, elle est devenue une impasse obscure et violente à l’adolescence. Elle le renvoyait à ce qu’il était pour les autres : un Marocain (« on ne nous appelait plus que, communément, ‘les Marocains’, pour dire voyous, crapules et malandrins »), ce qu’il n’était pas nécessairement pour lui. Lui qui est aussi imprégné de la culture et la langue du pays où il a grandi et dont il a fréquenté l’école.

C’est peut-être cette situation à la fois singulière et partagée par tant d’êtres sur terre, qui le poussera à s’exiler dans un autre exil. Bouleversé par la révolution iranienne, fasciné par l’Ayatollah Khomeiny, il se convertit au chiisme, lui dont la famille était profondément sunnite. Rupture culturelle dans la fêlure de l’être. Qu’il raconte dans son récit Maroxellois (contraction de marocain et bruxellois), un récit écrit grâce à tous ces livres lus depuis l’enfance, qui ont été sa fuite, son refuge, un autre exil encore. Où il s’abîme : « Quand j’étais en famille, j’étais en famille ; quand j’étais dans ma bibliothèque, je n’étais plus là, c’est tout. » Ces livres dont pourtant il s’est bien souvent demandé la nécessité : « Ceci dit, je lisais beaucoup mais cela ne me servait jamais. (…) Faire des choses qui ne servent à rien, qui ne correspondent ni à mon milieu ni à mes études ; des prises de tête inutiles, voilà mon impression pendant ces longues journées de lecture à la bibliothèque, et plus tard chez moi aussi. Inutiles, certes, mais j’aimais ça. » Il peut en dire l’inverse, qu’ils ne sont qu’utilitaires. Et aussi, qu’ils ont été et qu’ils sont, malgré lui, une des sources de sa vie en exil dans l’exil, qu’ils l’ont abreuvée, exacerbée : « Il y avait pour moi une impossibilité de faire sans mes convictions forgées tout le long des pages et des pages qui firent la plupart du temps de mes années, j’étais en quelque sorte malade d’avoir trop lu, victime de ma boulimie livresque. » Malgré ce malaise dans la lecture, les livres lui ont appris à penser par lui-même, enseigné la complexité de vivre. Lui ont donné l’appétit de la vraie vie, intense, apaisée. Avant que d’être trop vieux.

Michel Zumkir