André BAILLON, Un homme si simple, Postface de Maria Chiara Gnocchi, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 240 p., 8,50 €, ISBN : 978-2-87568-484-4
Qu’est-ce qu’une confession ? Comment, sacré par Rousseau, le genre littéraire de la confession se noue-t-il aux registres du religieux et de la psychanalyse ? Paru en 1925, Un homme si simple délivre une confession en cinq actes prononcée par un homme, Jean Martin, interné à la Salpêtrière. Dans sa remarquable postface, Maria Chiara Gnocchi analyse les rapprochements entre le roman d’André Baillon et les grands modèles des œuvres « confessantes » — Saint Augustin le précurseur, Rousseau le fondateur du genre, Dostoïevski, Tolstoï, Duhamel… Comme nombre de personnages d’André Baillon, le narrateur traverse une crise qui lézarde son existence. Écrivain montant à Paris afin de se consacrer à la littérature, affligé depuis l’enfance d’une hypersensibilité, d’obsessions tenaces, écartelé entre deux femmes Jeanne et Claire, éprouvant une attirance pour Michette, la fille de Claire, Jean Martin glisse peu à peu dans l’anorexie, la dissociation de la personnalité, la dissolution du réel qui se met à proliférer, à perdre ses assises. Le récit d’Un homme si simple évoque sous bien des angles les séismes psychiques, existentiels, les internements à la Salpêtrière qu’a endurés André Baillon, lequel se suicidera en 1932.
Reposant sur le jeu a-dialectique, en spirale, entre le confessant, Jean Martin, et le confesseur, le médecin, le récit fouille dans une langue économe, taillée à vif, le grenier des remords, des scrupules, des fautes réelles ou imaginaires. Avouer, se confesser relève d’un jeu de cache-cache. Un jeu avec le destinataire — l’autorité médicale — avec qui il s’agit de ruser, de mi-dire, un jeu avec soi-même. Dans les deux cas, il s’agit de demander, d’obtenir l’absolution : le surmoi intérieur et le surmoi projeté dans le chef du psychiatre se doivent d’arrêter une sentence, celle de l’acquittement, de la disculpation.
La chute de Camus est entièrement construite sur le point de vue unique du confessant, le « juge-pénitent », Jean-Baptiste Clamence qui, s’auto-accusant pour un crime passé, condamne l’humanité toute entière. Également bâti sur l’exclusive voix du narrateur, Un homme si simple renverse le nouage de l’innocence et de la culpabilité afin d’octroyer la rémission des péchés à lui-même, à son entourage. Christique, Jean Martin disculpe le genre humain, tente de se sauver en sauvant les autres, Michette avant tout.
Je pardonnais. Pauvres, pêcheurs, avec les autres péchés, je prenais leurs fautes, sur mes faibles épaules
Partiel, inachevé, barré par l’impossible, l’examen de conscience que Jean Martin exerce sur lui-même louvoie avec la vérité. Comme dans Le perce-oreille du Luxembourg, le personnage sonde son passé, ses failles, ses manquements. Aveu et dénégation, introspection et mécanismes de défense sont intimement liés. Qu’en est-il de la sincérité, des tourniquets entre honnêteté de l’aveu et comédie des mea culpa ? Quelle instance en nous nous contraint-elle à nous confesser ?
Le motif du double est omniprésent dans l’œuvre d’André Baillon. Face au sentiment de culpabilité, aux contradictions qui épuisent l’esprit, qui tiraillent, étrillent la chair, Martin se dédouble avant de se diffracter en un quatuor de Martin I, II, III et IV tandis que son chat, le médecin se démultiplient. La réalité fuit de toutes parts ; l’angoisse ravage le narrateur affolé par son obsession érotique pour Michette. La confession est tendue vers deux buts qui n’en forment qu’un : obtenir la grâce (en exergue du livre, la Messe des Morts, son Absolve, « Absous »…) et retrouver l’unité, la consistance du moi, de la conscience, du monde, faire barrage à l’éclatement, au surgissement du double et du multiple. La Salpêtrière apparaît au narrateur comme un hôpital-couvent où chaque patient meurt à lui-même, à sa part profane, pour renaître pur, simple, lavé de celui qu’il était. Rédimé.
Comme les maisons où les moines se sanctifient, l’hôpital est un couvent : le couvent de la souffrance, cette souffrance qui, comme le pain que l’on porte sans souillure à sa bouche, comme l’eau qu’on ne gaspille pas, comme le corps, Temple du Saint esprit, est un bienfait de Dieu (…) Étais-je assez pur ? Assez doux ? Assez simple ? Et maigre ?
Bonheur qu’après avoir publié Le Perce-oreille du Luxembourg, Chalet 1, Délires, Histoire d’une Marie, Par fil spécial, Espace Nord poursuive avec Un homme si simple l’édition de l’œuvre hantée, si singulière d’André Baillon.
Véronique Bergen