La tête dans les nuages

Béatrice LIBERT et Pierre LAROCHE, La sourde oreille et autres menus trésors, Henry, coll. « Bleu marine », 2020, 48 p., 12€, ISBN : 978-2-36469-222-0

On ne demande pas au saladier
De raconter des salades
Ni à l’armoire à épices
De passer muscade
Encore moins au sel de casser
Du sucre sur le dos du cabillaud 

« Créadivaguer », tel est le mouvement qui semble avoir présidé à l’écriture de La sourde oreille et autres menus trésors de Béatrice Libert, publié aux Éditions Henry. La poétesse, qui n’en est pas à son premier ouvrage de poésie ni à sa première collaboration avec un artiste, s’associe ici avec l’artiste Pierre Laroche pour livrer ce petit bijou de poésie pour la jeunesse.

Poèmes et collages tissent entre eux une relation de douceur et de légèreté. Les tons des poèmes sont variés, explorent divers affects, empruntent tantôt à la musicalité d’une comptine, tantôt à la prosodie particulière de la poésie « en soi ». Allitérations, rimes, jeux de mots : tout concourt, dans le recueil, à détourner des expressions courantes et imagées telles que « faire des vagues », « prendre la mouche », « à quatre épingles », « sans crier gare ». Celles-ci deviennent littérales et ouvrent sur un imaginaire amusant.

La maison a des regrets
De coquillages et de goélands

Un tilleul lui tisane des contes
Lorsque tombe le soir
Toujours à l’improviste

Il suffit alors à la lune
De tourner sept fois la clef
Dans la serrure de l’imaginaire

Pour que prenne langue
Sur les pages des toits
Un alphabet d’étoiles 

Si les thèmes des poèmes sont également variés, chaque texte sème « des graines / dans le jardin-poème / de l’île du langage » : c’est cette relation avec le langage qui est mise en lumière et qui fait l’intelligence de ce recueil, en montrant combien les sons et les mots sont toujours chose étonnante et matière à réfléchir comme à jouer.

Il faut battre le vers
Pendant qu’il est chaud

Pour qu’il batte son plein
De rimes et de quatrains

[…]

Mais jamais c’est certain
Ne faut battre en retraite

Si l’on veut être poète

La poésie pour la jeunesse souffre encore, hélas, de nombreux préjugés ; ce recueil est l’une des belles productions du genre qui permettra peut-être de les dépasser. La sourde oreille et autres menus trésors est un joli livre, qui enchantera les plus jeunes et réjouira les adultes. Une fois dans les mains de nos enfants et petits-enfants, il y aura fort à parier que cet ouvrage suscitera quelques vocations.

Charline Lambert