Les mots pour le traduire

Katrien LIEVOIS et Catherine GRAVET (éditrices invitées), Parallèles, Revue de la faculté de traduction et d’interprétation de l’université de Genève, n° 32/1 : La littérature belge francophone en traduction, avril 2020, 210 p., URL : https://www.paralleles.unige.ch/fr/tous-les-numeros/numero-32-1/

Katrien LIEVOIS et Catherine GRAVET (éditrices invitées), Parallèles, Revue de la faculté de traduction et d’interprétation de l’université de Genève, n° 32/1 : La littérature belge francophone en traduction, avril 2020Soulever la question de la traduction d’œuvres littéraires estampillées « belges », du fait du lieu de naissance de leur auteur, ne va pas de soi. Comme Katrien Lievois et Catherine Gravet prennent à cœur de le rappeler dans leur introduction parfaitement documentée : l’appartenance nationale des écrivains belges a eu tôt fait de céder le pas à leur appartenance linguistique. Davantage que les Français de province ou d’autres auteurs périphériques par rapport à une culture dominante (pensons par exemple aux Autrichiens), les Belges « habitent une langue » – en l’occurrence, pour ceux traités dans ce volume, le français.

Après avoir résumé (belle gageure…) le malaise définitoire qui caractérise la production littéraire belge et qui explique le foisonnement d’appellations successives de « nos lettres », les directrices de publication prolongent leur questionnement avec la perception de cet espace littéraire à l’étranger, soit là où « la connaissance des œuvres dépend d’une variable supplémentaire, la traduction ». La problématique est intriquée à celle de la diffusion ; en sonder les soubassements historiques s’avère révélateur quant à nos réflexes créatifs, l’exportation de notre image, notre présence dans le champ culturel européen, et ce depuis 1830…

Le traductologue qui se penchera sur le laboratoire belge verra fourmiller les sujets d’intérêt. S’il se centre sur les rapports des individualités avec la traduction, il constatera que l’écrivain belge peut être autotraducteur (en cas de bilinguisme parfait, ce qui exista in illo tempore mais est aujourd’hui impensable), hétérotraducteur (quand il se met au service des autres, à l’exemple d’Alain Van Crugten qui développe aussi une œuvre personnelle), polytraduit (parce qu’il produit des best-sellers ou jouit d’un capital de reconnaissance élevé, comme Amélie Nothomb, Jean-Philippe Toussaint ou Hergé)…

Il peut se demander si la traduction dans les trois langues nationales, condition de la circularité interne des œuvres, est aussi bien représentée que celle dans des idiomes étrangers ; ou encore si les institutions (académiques, ministérielles,…) ne devraient pas se repositionner pour dynamiser le secteur de la traduction littéraire en Belgique. C’est ici qu’il s’agit de souligner l’importance, hélas bien solitaire, du Collège européen des traducteurs de Seneffe, qui favorise les rencontres, les publications et une floraison de travaux de haute volée en la matière.

Quoi qu’il en soit, et même si les Belges ont peu de chance de se voir traduits s’ils ne sont pas a minima publiés à Paris, il se rencontre des profils, des styles ou des titres particuliers susceptibles d’intéresser les passeurs linguistiques… Parmi les articles rassemblés dans le volume, le géant Simenon se taille évidemment la part du lion, avec des études sur sa réception en Hongrie, en Grèce et en Turquie. Toutefois, des horizons inattendus s’ouvrent à nous, comme avec la découverte des enjeux transnationaux et translinguistiques de la traduction néerlandaise d’Escal-Vigor, ou encore la recherche signée Kevin Henry et Yufeng Hao sur la traduction de Maeterlinck dans la Chine républicaine (1911-1949).

Un volume précieux qui, tout en témoignant de la présence mondiale de la littérature francophone de Belgique, nous rappelle que la traduction est, bien davantage qu’une discipline, un art majeur capable de magnifier tous les corpus, fussent-ils injustement considérés comme mineurs…

Frédéric Saenen