Pierre STIVAL, Une caravane attachée à une Ford Taunus, roman à haut potentiel poétique, Cactus inébranlable, coll. « Cactus poche », 2020, 102 p., 10 €, ISBN : 978-2-39049-016-6
Avec Une caravane attachée à une Ford Taunus, l’auteur tournaisien Pierre Stival signe un premier roman.
Roman ?
Oui.
Hybride, certes, comme l’indique le sous-titre roman à haut potentiel poétique, mais roman tout de même.
Les éditions du Cactus inébranlable (l’éditeur qui gratte et qui pique, comme elles le rappellent sur leur site) ont pour ligne éditoriale le texte court, la nano-fiction, le fragment. Le sous-titre roman à haut potentiel poétique vient rappeler ce ton/cette brièveté, des fois que le lecteur oublierait qu’il va plonger dans un inclassable. Un objet littéraire non identifié tout à la fois roman poétique et long poème en prose.
Une caravane attachée à une Fort Taunus fonctionne comme une déambulation dans une rue dont on ne connait pas le nom. Une rue où un homme, « je », offre une suite d’allers-retours, de maison en maison. De cet homme, en dehors de ce « je », on ne sait rien. Inclassable, lui aussi, qui va du numéro 25 (où il revient souvent) au numéro 1 en passant par le 700, le 549 ou encore le 888 (où il se promet de ne plus mettre les pieds). Une rue où il se perd, se cherche. Une rue qui ne commence ni ne finit et d’où le narrateur ne sort jamais, même s’il rêve d’un voyage en Espagne, à bord d’une caravane.
Je suis né dans cette rue, je vis dans cette rue. Elle est le monde.
Parce que cette histoire, c’est aussi l’histoire d’une maison qui bouge, au toit ouvrant en polycarbonate orange, dont on ne sait s’il s’agit du véhicule avec son réservoir d’essence, ses jantes ou du jouet en plastique de l’enfant. Car l’auteur brouille les pistes à recourir à des images nettes, floues, des images dont la focale évolue selon que l’on zoome ou dé-zoome, au point qu’elles soient déformées. Poétiques.
Un cerisier immense qui pourrait nous tuer lance de petits éclairs rouges dans le ciel pâle de juillet. Nous grimpons dans ses branches avec respect pour cueillir des petits cœurs battants gorgés de sang.
Pierre Stival s’appuie sur l’image pour faire avancer la narration. Par ailleurs photographe, il les construit, ses images, comme autant d’histoires dans l’histoire où les maisons qui se succèdent sont autant de stations où le narrateur se souvient, s’effraie, rêve, à moins qu’il ne fantasme ?
D’évocations en évocations (nauséabondes /cruelles/ anxiogènes/ sulfureuses/ savoureuses/ délicates/ stimulantes) le récit réveille les mémoires chaudes du lecteur, se connecte à son monde intérieure, son petit cinéma secret. Bien joué de la part de l’auteur qui, par le biais de cette réserve d’images, raconte tout en laissant à chacun.e de se figurer cette rue comme il/elle l’entend et sans qu’il lui soit nécessaire de recourir à la logique classique. Car ici, ce sont les codes explosés du souvenir, du rêve, du fantasme et de l’angoisse qui prévalent et donnent à voir la ligne qui se dessine de page en page. Celle d’une histoire bleue. Avec des femmes aux cuisses blanches. Une histoire avec un « tu », aussi, qui pourrait avoir 10 ans ou bien 50. Un tu que l’on cherche, qui semble avoir disparu (à moins qu’il ne soit parti en Espagne). Un tu qui part ; un je qui reste.
Il y a un peu du récit eschatologique dans ce premier ouvrage de Pierre Stival. Quelque chose d’un monde qui se délite, d’une humanité qui peine à (re)trouver ses repères. Un récit de fin, à la manière du Dernier Mot de Maurice Blanchot.
L’éditeur le dit lui-même en quatrième de couverture : ce roman a quelque chose du labyrinthe. Peut-être, en ces temps troublés, la poésie est-elle une voie pour sortir de ce labyrinthe ? (merci à Gabriel Garcia Marquez et à son Général dans son labyrinthe de m’y avoir fait penser).
Pour donner à entendre la voix toute particulière et éminemment évocatrice de Pierre Stival, suivez cet autre conseil donné par l’éditeur en quatrième de couverture : lisez lentement ou à haute voix. Je vous promets, pour l’avoir fait, que vous profiterez d’autant plus de l’ampleur poétique de ce texte. Et à force d’échos, qui sait si vous ne sortirez plus vite encore de ce labyrinthe ?
Amélie Dewez