La furie des abandonnés

Pascaline DAVID, La colère des simples, Sans escale, 2020, 84 p., 13 €, ISBN : 978-2-4914380-1-2

david la colere des simplesLes éditions Sans escale publient cet automne le premier roman de Pascaline David.

Sous le titre polysémique de La colère des simples, la romancière crée un univers d’une force et d’une puissance dont l’envergure tellurique se révèle au fil des pages où se déploient les personnages, l’espace romanesque, le temps, l’action et la voix, cette voix que l’on nomme le style et qui fait d’un texte une œuvre littéraire ou un simple récit. Pascaline David nous fait pénétrer dans La colère des simples avec une rare et intense capacité d’évocation de la violence de ce sentiment qui sourd à chaque ligne du récit.

Lazare, le narrateur ne sait ni lire ni écrire. D’emblée il nous l’annonce : « quand je dis écrire, ce n’est pas tout à fait moi. Moi je ne sais ni lire nie écrire. C’est Simone qui le fait ». C’est Simone, la femme de Lazare qui va écrire, dans un cahier,  sous la dictée hachée du narrateur et nous raconter comment s’érige la grande colère des simples. Les simples, ce sont eux, d’abord. Mais aussi les autres habitants de la région qui vont prendre le maquis, enfin ce n’est pas ainsi qu’ils le disent, ces gens simples. Ils vont se réunir et traverser les pâturages  jusqu’à l’orée du bois pour affronter les forces de l’ordre que l’on a envoyées pour les en faire déguerpir. Surgissent alors entre ces lignes arides comme des sillons que la charrue vient de retourner, ces images que nous avons tous vues, des ZAD, les « zones à défendre »  ces lieux sauvages que l’on destine à devenir des dépotoirs du nucléaire ou des aéroports

Notre narrateur nous dit comment il est entraîné dans cette révolte, parce qu’il faut bien et puis que si on laisse faire, la maison n’aura plus de valeur quand il mourra et que Simone restera seule dans la maison. Et Simone ne peut pas vivre seule. Et la maison ne vaudra plus rien si le sol est empoisonné par le nucléaire. Et puis c’est lui Lazare que l’on charge de la sale besogne, contre paiement.

À mi roman, la voix change. Dans le cahier, Simone écrit « à la place de son homme », ce qu’elle comprend de ce qu’il fait à un otage, enfermé dans une cave. Et on change de point de vue. On remonte à l’enfance. À l’âge de l’école communale. À la cruauté qui frappe les enfants différents.

Lazare, ce gamin en retard de trois ans à l’école ; et puis cette route qui longe l’école rurale et happe régulièrement des écoliers en déroute ; et puis cette petite fille que Lazare va sauver lorsqu’elle tombe sur la chaussée et dont il va se faire, enfin, son amie, sa protégée, lui qui sait prononcer son nom Stulichna Slobodanca…et dont Victor aimerait aussi se faire une amie.

Le lecteur découvrira, en fin de roman, qui sont ceux-là.

La phrase est drue, déployée dans cette oralité sauvage des colères. C’est au cœur du combat que nous plonge Pascaline David, arrachant les racines du mal au fil du récit. Le combat de la conscience, bouleversée par la violence d’une prise d’otage. Celui de la sauvagerie des actes qu’il faut bien poser puisque c’est le seul moyen de se faire entendre pour ceux qui comme Simone et Lazare n’ont pas les mots pour se faire entendre, depuis ce lieu dans lequel ils pensaient avoir été oubliés de la férocité des hommes, « le beau toit en ardoises, clouées comme il faut avec des jolis clous en cuivre, le grand bûcher maçonné à l’ancienne tout comme la façade bien propre avec ses longues pierres du pays, la terrasse toute de pierre bleue avec ce que j’ai trouvé au cimetière ».

Il y a dans ce court roman, des phrases que l’on rencontre dans les anthologies, où l’image évoquée surgit avec justesse du balancement de la voix, même pour décrire ces mouches que l’on prend au piège de papiers enduits de colle : « Il y a eu de grands loopings à tire-d’aile miniatures. Ça vrombissait comme de petits biplans affolés, des fois peut-être qu’il n’y en aurait pas pour tout le monde ».

En refermant le livre, le lecteur ressent encore longtemps cette colère des simples, dont il n’a pu se détacher de la voix grave et sombre, comme sortie des caveaux opprimés de la conscience abandonnée. À la dernière phrase du livre, le lecteur appréhende l’ensemble ce destin que la romancière a tissé pour chacun des personnages, Lazare, Victor, Simone et ces autres éperdus qui scandent ce fragment de vie rurale dont nous avons ici l’hypnotique récit. De la violence à l’état pur. Sauvage. Comme une charge de sangliers affamés.

Jean Jauniaux