Catherine BERAEL, Cabotage, Coudrier, 2020, 76 p., 18 €, ISBN : 9782390520153
Dans son avant-lire, Anne-Marielle Wilwerth se demande comment nommer les textes rassemblés dans le livre que nous tenons entre nos mains. « Escales de vie ? Marées de mémoire ? » Par ce questionnement, elle pose une entrée en matière en juste résonance avec les proses de l’auteure, sa comparse de plume et de pinceau Catherine Berael. Cabotage, tel est le titre qui nous achemine de récit en récit, nous laissant apercevoir des paysages humides d’embrun, des plages ensablées de mystères imperceptibles, des horizons chargés d’hier et de demain ; « une palette d’atmosphères et de lieux, tous frères de la mer ».
Le recueil de Berael se parcourt comme un carnet de voyage rehaussé de quelques aquarelles. Nous sommes, par ses mots et sa peinture, invités à des excursions poétiques, avec pour toile de fond des ressacs et des marées, extérieurs et intérieurs. Ainsi, quand vient « novembre sous la pluie », la plage wissantaise est foulée des pas pressés des couples tristes, ensemble pour peu de temps encore. Debout contre la rambarde d’une estacade ou assises sur un banc le long de la digue ostendaise, les veuves voguent sur leurs souvenirs aux teintes de regret : « Vivre à moitié. À l’attendre en silence, en boucle dans le souvenir des jours à deux. Revenir au quotidien amputé de sa présence, où chacun des gestes [me] ramène à lui, rien qu’à lui. […] De combien d’attente et de résignation [m]a vie fut-elle remplie, tandis que lui vivait pour deux… » L’estran, en été, accueille les filets de crevettes, les cris de voraces mouettes et les désirs de reconnaissance des garçons crânant devant leur pêcheur de père. En Baie de Somme, les mères en devenir bravent la Manche, la défient avec tendresse et respect, dans l’espérance de « mêler l’eau douce à l’eau salée sans jamais trop s’éloigner ». Sur les quais, le pinceau « gonflé d’eau et de pigments » des vieux peintres fait gondoler les âmes et lisse le temps qui s’échappe. Quant à Brighton « où le ciel s’enrhume à l’envi », les « falaises ouatées de brume » de Seven Sisters, Seaford aux cabines de plage couleur pastel, Bréhat propice aux nuits d’insomnie à « mouiller dans les ports oubliés de [s]a mémoire » et Sète-la-singulière qui suscite des aveux nostalgiques, ce sont autant de lieux pittoresques vibrant de souffles résignés et de goulées d’espoir, respirant mort et (re)naissance. « La mer pour s’aérer le cœur. »
Les marines peintes en lettres et pigments par Berael, amoureuse et complice de la Nature, sont traversées par un flux personnel qui nous transforme en promeneurs attentifs, capteurs du mouvement des vagues et des nuages, arpenteurs de souvenirs et plongeurs en eau trouble. Les passés resurgissent au contact de galets, d’air iodé, d’algues marines de rires des goélands ; esquisses en mouvement. Flux et reflux. L’Homme n’est donc pas une île, mais un estran.
Samia Hammami