Fabrice GARDIN, Le droit à l’oubli, Samsa, 2020, 42 p., 12 €, ISBN : 978-2-87593-280-8
« J’ai hérité d’une sombre forêt, mais je vais aujourd’hui dans une autre forêt toute baignée de lumière. » Ces mots de Tomas Tranströmer qui ouvrent le récit sont très éclairants sur les sentiments qui animent Andréa, la protagoniste de la pièce. Cette ancienne terroriste raconte à une journaliste de son âge, Dominique, ses actes passés. Elle assume totalement ses anciens choix, même s’ils étaient dépourvus de toute réflexion critique. Le plus dur à présent est de ne plus avoir de nom ni de passé honorable. Maintenant qu’elle a purgé sa peine – dix-sept ans de prison –, elle souhaite tourner la page, continuer sa vie et avoir le droit à l’oubli.
Comment une jeune femme de vingt ans peut-elle s’engager dans la lutte armée ? Andréa a toujours été militante. Elle quitte son Sud natal pour se rendre dans une université communiste du nord du pays. Elle milite au sein d’un groupe d’extrême gauche, participe à de nombreux meetings et grèves. C’est l’époque où tout se partage avec insouciance : la bière, la cigarette, le lit. Lassée de distribuer de simples tracts et avide de plus d’action, elle poursuit sa quête – celui de sauver le monde – et rejoint une brigade afin d’attaquer l’État. Elle accepte de remettre sa vie entre leurs mains, de tirer un trait sur son passé, d’entrer en clandestinité. La raison révolutionnaire passe avant tout. Andréa ne voit plus ses proches, ou presque, et ne leur dit rien sur ses actes. Ils n’apprendront la vérité qu’à son arrestation. À vingt-quatre ans, elle tombe enceinte. Trop compliqué d’élever une enfant dans ces circonstances, elle finira par confier sa fille à sa mère.
Dominique est aussi une militante, à sa manière. Journaliste de terrain, elle a couvert de nombreux conflits dans le monde, jusqu’à être enlevée par un groupe terroriste de moudjahidines. Ce n’est pas par hasard qu’Andréa a choisi d’être interviewée par elle. Victime et bourreau se retrouvent, en quelque sorte. Andréa explique que le terrorisme qu’ils pratiquaient n’a rien avoir avec celui d’aujourd’hui. Elle estime qu’ils respectaient la vie et ne voulaient pas terroriser la population. Dominique rappelle qu’il ne faut tout de même pas nier la violence de leurs actes. Plus l’interview avance, plus la journaliste dévoile ses opinions.
L’Italie n’est jamais citée, mais on comprend rapidement que derrière ce témoignage se cache celui d’une ancienne militante des Brigades rouges. La couverture de la pièce représente d’ailleurs Margherita Cagol, l’une d’entre elles qui a eu une fin bien plus tragique.
En mode interview, proche de l’interrogatoire par moment, Fabrice Gardin nous propose dans Le droit à l’oubli un récit direct, presque médical, où se confrontent deux visions non éloignées l’une de l’autre. Chacune à leur manière, ces femmes se sont engagées pour un monde plus juste. La pièce, publiée aux éditions Samsa comme les autres textes de Fabrice Gardin, pose une réflexion philosophique intéressante sur l’engagement et le sens de la vie. Le texte interroge également la notion-même de terrorisme à travers le temps et l’histoire.
Émilie Gäbele