Claire PONCEAU, L’enfant, l’étoilement, Photographies France Dubois, Éléments de langage, 2020, 149 p., 20 €, ISBN : 978-2-930710-20-4
L’enfant n’a pas été conçu non, ce n’était pas prévu, je n’ai jamais prévu beaucoup de choses. Prendre un sac, pour les courses, le nombre de culottes correspondant au nombre de journées plus deux, oui. Je n’ai pas conçu l’enfant. Avec l’enfant, il a tout fallu concevoir.
Le prénom et le sexe de cet enfant viendront plus tard. Quand l’enfant n’est pas voulu, il est possible de protéger ses sentiments en s’imposant une distance par rapport au sujet ; alors traité plutôt comme objet. D’un point de vue littéraire, la plume permet d’en parler à la troisième personne, cela aide. Cependant, la proximité et le trouble sont si grands qu’ils remettent tout en cause grammaticale, lexicale, syntaxique.
Soit un exercice très particulier car pousser les frontières du lisible, oui, mais un seul pied à la fois, l’autre resté dans la zone du connu pour que le lecteur ne lâche pas la main de l’auteure. C’est ce que Claire Ponceau réalise ici avec brio, lenteur et parfois poésie dans ce récit ou ce roman (rien ne l’indique) léger, courageux, en équilibre fragile sur le bord d’une falaise qui peut mener aux océans de larmes accumulées par toutes les mères du monde.
Quand le mouvement du monde menaçait et déséquilibrait mon cœur, je respirais. Je voulais comme la gibbeuse porter en moi la mer de la tranquillité, ignorer les tempêtes solaires.
« Un enfant et nous voilà passé » chantait Brel. L’enfant, l’étoilement accuse le coup : Il faut sans doute aimer le monde comme il va mal pour accepter de mettre au monde quiconque. Il faut être fou, idiot, irresponsable, les trois à la fois. Avertissement. Le dire pour prévenir les idéalistes : les enfants fondent le capitalisme. Songez aux masses laborieuses. Il faut être lucide et se rendre à…
L’évidence était que l’enfant était de trop. Dans mon appartement l’enfant était de trop, car le nombre d’objets qu’imposait sa présence ne me dérangeait pas mais tout de même il fallait ces objets en plus. Quand je marchais, l’enfant était de trop, les enfants s’accrochent aux jambes parfois. (…) Je me savais à chaque minute être une mère au précipice de la maltraitance.
Et pourtant, personne n’est plus seul devant un enfant. Il vit : il faut bien s’en occuper au mieux. L’enfant m’a appris la beauté des oui. Et puis, un enfant, c’est l’espace réincarné à l’infini : c’est comme découvrir une partie jusqu’alors inconnue du cosmos, un voile se détache d’une part de l’univers. On y assiste et on est transfiguré.
Et toute l’histoire de l’humanité reprend son cours depuis ses origines. Le langage chez l’enfançon, c’est la glissade aux temps anciens, vers 1200 après Rahan, votre consentement soudain à l’ésotérique et aux oracles. Tout ce qu’il dit, vous le comprenez. Vous êtes bien la seule. Vous êtes la Pythie. Soit.
Un enfant, c’est une éternelle révolution ; un retour au point de départ. N’est-ce pas ce qu’illustrent la douzaine de profondes photographies de France Dubois ponctuant le texte ? Entre rive et océan, une jeune femme se confronte et confond à la fois aux rochers par sa sombre silhouette et aux tourments des vagues par ses cheveux pris entre les vents et l’écume.
À nouveau, l’éditeur Éléments de langage lance ici aux firmaments des lettres, un de ses fameux OLNI, objets littéraires non identifiés qui ose questionner la langue, la littérature et par cette voie, la morale et la culture du lecteur qui reconnaitra, heureux, malheureux, les grandes profondeurs du moi interrogé par l’enfant ; par tous les enfants.
Tito Dupret