Le mistral souffle encore à Uzès

Corinne HOEX, Uzès ou nulle part, Cormier, 2020, 84 p., 17 €, ISBN : 9782875980236

hoex uzes ou nulle partExiste-t-elle vraiment cette ville d’Uzès ? Sans doute est-ce une destination prisée pour les amoureux du Sud de la France mais pour d’autres, le nom même de cette commune résonne comme un leurre, une hypothèse. Pour Corinne Hoex, la ville n’a pas de consistance même si paradoxalement elle n’en finit pas de bruire, de renvoyer l’écho d’une déception. Le titre de son dernier recueil en témoigne, Uzès ou nulle part. Une ville comme gommée de la carte, une ville-fantôme.

Il disait Uzès,
Un jour à Uzès.
Le nom d’une ville
Offert en otage.
Il disait
Uzès
Comme il disait rien
Un leurre. Une chimère.
Un divin mirage.

Quel mirage ? Celui sans doute d’une promesse faite, celle de visiter la cité en compagnie de l’autre, d’arpenter ses ruelles, ses jardins. Sentir ensemble l’odeur des pins et goûter la saveur du vent occitan. Mais, au fil du recueil, l’image d’Uzès s’use, se délite à mesure que s’efface toujours un peu plus le serment initial qu’évoque l’auteure dans le texte liminaire.

Uzès. Sa main dans l’espace dessinait la ville. Uzès. Et il fermait les yeux. Les murs blancs scintillaient sous ses paupières closes. Il ouvrait soudain un regard rieur. C’était une plaisanterie. C’était pour rire. Nous n’irions jamais à Uzès. Jamais ensemble. Je resterais près de la mer. Il ne reviendrait pas.
Je serai là, disait-il, et je ne serai pas là. 

La raison de cette promesse non tenue, le lecteur ne la connaîtra pas. Un décès, une séparation, une trahison ? Qu’importe en somme. L’essentiel ici est de percevoir l’importance que revêt cette attente déçue. Le ciment effrité d’une relation qui, on le devine, fut intense et fugace peut-être. Au point que ne subsistent que ces quatre lettres dans la bouche de l’autre, Uzès. La ville n’est plus dès lors qu’un mot répété, obsessionnel qui s’estompe lui-même à mesure que s’envole la promesse d’une aube dans ce mistral perdant.

De même, c’est la voix du complice lovée dans son corps italique qui, petit à petit, se fait muette, s’évanouit dans le vent tant espéré. La poésie d’une promesse révolue qui laisserait la place à la prose serrée de chaque instant au moment de refermer la dernière page.

À la terrasse, sur la table, bouquet de mimosa […] Parfois, je ferme les yeux, je suis à Uzès. Avec les remparts de pierres blanches. Les cyprès et les buis. Le crépitement des cigales. Le ciel bleu dans l’ogive d’un passage voûté. Le mistral dans ma robe. Un lézard qui détale.
Une rose sur sa haute tige d’épines résiste aux assauts du vent. 

Et c’est bien en usant de sa langue précise et minimale que  Corinne Hoex résiste aux rafales de cette désillusion, de ce manque. Des miettes de phrases qui virevoltent une dernière fois dans le vent toujours à l’affût de ces états d’un motif d’absence[1].

Ce soir, petit mistral.
Vous allez me manquer.

Rony Demaeseneer


[1] Emprunté au titre d’un recueil de Jacques Cels, États d’un motif d’absence paru en 1981 au Talus d’approche.

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