Un coup de cœur du Carnet
Vincent CUVELLIER, Le plus mauvais livre du monde, Nathan, coll. « Court toujours », 2020, 64 p., 8 €, ISBN : 978-2-09-259282-3
Paul prend la route… Contrairement au bouquin qu’il trimballe, le récit de ses aventures est un texte savoureux.
Établi à Bruxelles, Vincent Cuvellier est l’auteur de près de nonante ouvrages : albums, romans, BD, récits à caractère autobiographique… Dans Je ne suis pas un auteur jeunesse (Gallimard-Jeunesse, 2017), un texte aux allures de manifeste, il déclarait : « Une des raisons pour lesquelles j’écris pour les enfants, c’est que souvent, je n’aime pas la manière dont on me parlait à moi quand j’étais môme. J’essaie donc de bien parler aux enfants. Leur parler simplement mais de tout. Aucun tabou ». Cette liberté qui a valu à l’auteur d’éclatantes réussites – la série Émile cartonne chez Gallimard –, on la retrouve évidemment dans son dernier roman, Le plus mauvais livre du monde, pour le plus grand bonheur des lecteurs.
Livré à lui-même alors que ses parents passent leurs vacances au Club, Paulo tente une échappée en train. Faute de billet, il échoue dans un café au milieu de nulle part et pour patienter avant le prochain train, il prend le volume attrapé dans la boite à livres de la gare.
J’ouvre le bouquin, une page au pif. « La ligne de coupe embrasait la familiarité abstraite qu’Argice entretenait avec l’horizon. Il fait un geste, Seigneur, qui signifiait “ Assez ! assez ! “ »
Eh ben, tu sais quoi ? Dans la boîte à livres, y avait un bouquin avec, sur la couverture, une pieuvre géante qui se battait contre un gorille en tenue de ski ! C’est celui-là que j’aurais dû prendre, au moins j’aurais rigolé. Mais là, je sais pas, L’Engagement d’être, je me suis dit « Ah oui, cool, c’est le genre de livre qui t’explique comment faire dans la vie, tout ça, genre qui te donne des conseils, qui te dit comment gagner des sous, trouver une meuf, des conseils, quoi… » Mais là, franchement, c’est pas avec ce truc que je vais trouver une meuf…
Et puis y a un type qui est entré dans le bar, un gars qui ne ressemble pas aux autres. Il est habillé tout en blanc, une barbe blanche, des cheveux blancs, ma mère appelle ça un vieux beau.
Ému de voir un si jeune homme lire sa prose, l’auteur de L’engagement d’être (le vieux beau, c’est lui) offre le gîte à ce « frère d’appétence ». Mais comment dire à un écrivain que vous détestez son bouquin ? Ce qui aurait pu tourner au cauchemar se révèlera une chance. L’infatué poète a une fille, dix-sept ans elle aussi, et du chien à revendre. Pour la jolie Manon, Paulo est bien décidé à en découdre.
Comme dans Kilomètre zéro (rééd. Rouergue, 2016) et La cire moderne (Casterman, 2017), deux récits de Vincent Cuvellier qui mettaient en scène des ados, la trame est celle d’un road movie. Avant de prendre la route, Paulo a posté un « truc » qu’il a écrit : « J’ose pas dire un livre, mais en vrai, c’est un livre quand même. Je m’ennuie tellement que j’ai que ça à faire. Enfin, c’est pas vraiment ça, mais disons que quand j’écris, je ne m’ennuie plus. Et j’ai vu sur Internet qu’il y avait un concours où il faut envoyer son livre et si on gagne, ça devient un vrai livre ».
Vincent Cuvellier a lui aussi envoyé son premier manuscrit à seize ans, ce qui lui a valu de décrocher le Prix du jeune écrivain en 1986, mais l’important n’est pas là. Si Paulo se jette ainsi dans l’écriture et sur la route, c’est pour exister. Pas de pathos ici : il y a quelque chose d’une résolution joyeuse chez ce gamin qui savoure une liberté nouvelle. Les adultes n’apparaissent pas sous leur meilleur jour, mais Vincent Cuvellier ne force pas le trait. Si le personnage du poète donneur de leçons prête à sourire, ce qui se joue chez lui est de l’ordre du pouvoir et de la peur. Loin de plier devant la morgue de son aîné, Paulo est soutenu par Manon, heureuse elle aussi de secouer le joug paternel. Bref, le road movie est aussi le récit d’une vocation littéraire et d’une émancipation familiale et amoureuse.
Publié chez Nathan dans la collection « Court Toujours » destinée aux ados et aux jeunes adultes pas toujours intéressés par les livres, ce roman montre que le talent s’accorde avec la simplicité. Ni farce ni mélo, Le plus mauvais livre du monde vibre d’une émotion juste. La langue, savoureuse, est celle de tous les jours ; on rit beaucoup et le final donne envie d’avoir dix-sept ans…
Se sentir porté par un livre, même lorsqu’il est refermé, n’est-ce pas ce que la littérature offre de mieux ? Décidément, Vincent Cuvellier est un écrivain qui donne la pêche.
Marc Wilmotte
En savoir plus
- Le plus mauvais livre du monde figure dans la sélection Rebonds, un choix de textes pour ados accompagnés de fiches tremplins.
- Émile fait de la politique, le 22e tome des aventures d’Emile, sortira en mars 2021 chez Gallimard-Jeunesse, dans la collection Giboulées. Ronan Badel signe les illustrations.