Benoît DEMONTY, La longue nuit de l’humanité, Empaj, 2020, 247 p., 14 €, ISBN : 978-2-931011-19-5
Si le titre est déclamatoire, La longue nuit de l’humanité est un premier roman réussi ayant plus de corps que de cœur. Tant d’un point de vue littéraire que du nombre de victimes. D’une encre énergique, sans fioritures quoiqu’épicée de jolis traits d’écriture, Benoît Demonty file les tranchées de la Grande Guerre au rythme cardiaque des poilus. Et même si, ni l’auteur né en 1974, ni le lecteur ne sont plus en mesure de véritablement saisir les événements, l’action, la narration et les horreurs qui s’y répandent impressionnent. Davantage qu’au cinéma par exemple, lorsqu’on pense notamment à 1917 de Sam Mendes relevant plus de la performance technique que de l’épique souffrance des soldats. Force donc de l’évocation sur l’image.
Les gestes affectaient plus que les paroles. Les mots de la guerre, les discours, les exhortes, c’était pour l’arrière. Pour les Ministères. Les fonctionnaires. Les planqués. Ici c’étaient les actes qui importaient. Les assauts. Les charges. Les blessures. On parlait mal avec du sang dans la bouche. On entendait mal quand on avait de la terre plein les oreilles.
Cependant, si la grande histoire est sordide, la petite ici déconstruite et isolée dans un contexte post Der des Ders, semble alimentée d’une haine encore supérieure. Où une groupe de femmes restées loin du front n’a manifestement pas eu son content de violences ; inassouvies d’animalité. Par un adroit jeu de miroir et des temporalités, entre 1915 et 1925, entre têtes cassées et cœurs brisés, entre fronts allemands et un petit village perdu à l’arrière, odorant et cendreux, Ombret et ses Ombreux poussent aux limites de la justice, de la vengeance et de la folie.
Ombret était un petit village égaré, presque oublié à l’orée du Moreval. (…) Un pays de forêts rêches, vastes et denses, jetées au sol comme des peaux de bête. Un pays d’escarpements riches. Un pays de cours d’eau farouches qui envoyaient leurs rets au loin dans les lacs voraces.
De Marthe la blonde à Marthe la brune, leurs échanges épistolaires avec Étienne au combat s’enflamment et rapidement, l’élue, coupable de bonheur en ces temps insupportables pour tous, se voit exclue à l’intérieur même d’un village duquel le curé s’est exilé ; comme Dieu, omniprésent pourtant à l’époque, a déserté la guerre.
On nous a mis la mort dans le cœur, dans les bras et dans les yeux. Après, on n’est plus les mêmes. On se laisse vite envahir par le sombre. Qu’est-ce que la morale là où on a vécu ? Qu’est-ce que l’humain ? Qu’est-ce que c’est que la vie ?
Au travers de ce roman, l’auteur questionne donc bien l’âme et semble vouloir mettre le lecteur dans l’impossibilité d’espérer quoi que ce soit lorsqu’elle touche aux extrêmes de ses pires penchants.
Vous pouvez laisser ce livre, il est encore temps. Parce qu’après sa lecture, vous ne serez plus le même. Ou alors, c’est que vous êtes comme eux…
Tito Dupret