Philippe LEUCKX, Nuit close. Sizains, Bleu d’encre, 2021, 36 p., 10 €, ISBN : 978-2-9307-2537-4
En poésie, le mouvement de fermeture n’implique pas forcément l’hermétisme. L’expression poétique se condense à l’extrême, atteint une incandescence nucléaire. Toute forme brève devient ainsi une trouée, si moindre soit-elle, ouvrant sur une infinitude insoupçonnée. Chaque mot en est pesé et acquiert une portée, comme on le dit des projectiles, mais qui ici redonneraient vie et sens.
Dans son dernier recueil, Philippe Leuckx nous faire pénétrer la nuit close. Un tel titre méritait de figurer au catalogue d’un éditeur qui lui fasse écho ; Bleu d’encre s’est sans doute imposé comme une évidence… L’objet qui en résulte est sobre, éthéré et beau, avec sa couverture saturée de blanc, contradiction visuelle à l’obscurité annoncée. Vingt-cinq sizains s’y ponctuent, en notes délicates, qui vont constituer le cheminement, existentiel du poète, intérieur du lecteur.
Dans ces vers épurés et libres, une voix sinue à travers diverses tonalités, de multiples énonciations aussi. Quand le sujet n’est pas extérieur (une porte, les mots, les visages, et bien entendu la nuit), il laisse place à trois personnes singulières. D’abord le je et le tu, dont il est impossible de dire s’ils manifestent l’auteur ou le dédoublent.
Puis surgit le on. Sublime et vertigineux pronom que cet indéfini. Il est cent mille et personne, le on. Quelqu’un d’invisible. Un collectif fondu dans une entité de deux lettres. Une dilution de l’impératif catégorique. Le on, c’est la plastique même, le homo étymologique, le semblable, le frère. Vous et moi, pareillement. Donc volontaire, « On taille dans le noir / la limite du cri ». Le temps des audaces en découle : « On ose enfin se méprendre ». Plus tard, résigné, il sera encore bien temps d’admettre qu’« on a tourné / dans l’odeur fausse / des sources ».
Chacun des textes enclot sa part d’ombre. Car la langue de ces pages, limpide en surface, charrie ses pierres d’achoppement, ses vocables qui détonent sourdement, au creux du Verbe. Au lecteur de les investir d’une glose ou d’une songerie. Ainsi affleurent le verbe « remparer », le substantif « recel », l’adjectif « meurtris », qui ébranlent le champ lexical et le chant général du Poète. Aux percussions de l’oxymore, celui-ci préfère la subtilité du tissage métaphorique qui lui permet de « recoudre les souffles » et de s’en revêtir, le temps de franchir le Petit Nocturne, vers l’aube…
Dans cette plaquette, Philippe Leuckx a mis en œuvre une esthétique du rare dont les plus attentifs auront remarqué qu’il en donne la clé dès les premières lignes. C’est, égrené en trois temps comme pour en marquer la pudique solennité, le constat : « Peu de mots / sauvent / du rien qui tremble ». Forts de cette certitude, nous l’accompagnons. À chaque pas, pouvoir du poème oblige, l’angoisse se lève, l’ombre s’entrouvre, le charme opère.
Frédéric Saenen