Un coup de cœur du Carnet
Régis DUQUÉ, John Malone, Lansman, 2020, 52 p., 11 €, ISBN : 978-2-8071-0305-4
Martin, dix ans, fait ses devoirs dans sa chambre. Il décide de s’évader dans le livre, John Malone, que lui a offert Margot, la fille qu’il aime bien. L’orage se met à gronder. Il commence sa lecture. Une attaque terroriste menace le pays. Heureusement, le Bureau des affaires antiterroristes veille. Le regard de Martin s’élève vers la cathédrale. Quelqu’un bouge sur le toit. Son esprit s’évade. Dans la pièce à côté, son père est occupé à construire un nichoir à oiseaux. Il palabre, se souvient de l’époque où il travaillait sur un open space où chaque pause pipi était minutieusement notée et calculée. Il se souvient du peu de poésie qu’il trouvait parfois en regardant la neige tomber par la fenêtre. Au même moment, dans les rues de la ville, deux policiers patrouillent. L’un s’ennuie fermement et aimerait plus d’action. Sur les toits de la cathédrale, Tom Fox est à deux doigts de capturer John Malone, mais ce dernier lui échappe de justesse en hélicoptère. Tom parvient toutefois à le filer.
Au Bureau des affaires antiterroristes, Nelly Mancini donne les instructions à ses hommes. « Les forces du mal sont à l’œuvre. Les heures qui viennent vont être décisives. » Mais son esprit est ailleurs, auprès de son mari dépressif. Parallèlement, Patrick McCarthy et les membres des Troupes d’Interventions Spéciales – qui avaient tous d’autres ambitions de carrière que ce boulot mortifère – s’apprêtent à pénétrer dans un hangar où John Malone serait planqué. Mais l’intervention tourne mal. Claire, qui doit reconfigurer les satellites, perd la connexion avec eux.
Vont-ils réussir à capturer John Malone ? Qu’importe ! Toute cette histoire n’est qu’un prétexte. Régis Duqué utilise le thriller pour nous parler du monde du travail et plus précisément de la souffrance au travail. La construction du récit est ingénieuse. Quelques heures seulement s’écoulent. L’auteur insère tous les codes du thriller et reprend le rythme d’une série policière où chaque action est présentée par le prisme de différents protagonistes. Il multiplie les retours dans le temps et coupe à chaque fois l’action à un moment de haute tension.
Dans le prologue, Régis Duqué explique que c’est en regardant 24h/chrono qu’il a voulu écrire sur notre rapport au travail dans nos sociétés ultra libérales. On y croise un homme en dépression, un chœur de membres des forces spéciales qui rêvent d’un ailleurs, un patron aux belles paroles, mélomane et totalement incompétent, une femme au bord de la crise de nerfs, une employée des télécom qui se fait insulter à longueur de journée… Il est question d’amour, de jalousie, de poésie, d’ennui, de travail, d’argent, de peur, du quotidien, des relations humaines, des petits et grands bobos de la vie, de travailler pour vivre, de vivre pour travailler, de terroristes, de héros… d’êtres humains dans toute leur fragilité. Avec John Malone, publié chez Émile Lansman, Régis Duqué réussit un coup de génie : il nous tient en haleine jusqu’au bout, tout en questionnant un sujet hautement présent dans nos vies. Il boucle son récit de manière brillante. Une pièce extrêmement bien ficelée ! Jack Bauer peut aller se rhabiller.
Émilie Gäbele