Yves VASSEUR, Vincent van Gogh. Questions d’identité, Fonds Mercator, 2020, 160 p., 29.95 €, ISBN : 978-94-6230-263-1
D’une présentation luxueuse – format généreux, papier de qualité, mise en page soignée, iconographie impeccable –, le livre d’Yves Vasseur est difficilement classable. Ni biographie, ni essai au sens strict, proche du « journal de fouilles » des archéologues, il réunit les récits de quatre enquêtes distinctes dont le commun dénominateur est Vincent van Gogh. La première concerne un portrait photographique longtemps considéré comme celui du peintre à l’âge de treize ans : à la suite de longues et minutieuses recherches, l’auteur démontre qu’il s’agit en fait de Théo, le jeune frère de Vincent, révélation qui a déjà causé un vif émoi dans le landerneau. L’enquête suivante porte sur deux dessins signés VG et représentant de vieilles maisons à Cuesmes. Retrouvés dans un grenier en 1958, ils sont authentifiés peu après, ce que conteste de façon très argumentée Y. Vasseur, pour qui le dilemme reste entier. Troisième investigation, à propos du tableau Marguerite à l’harmonium qui aurait été abandonné par van Gogh après avoir été gâché accidentellement, puis réparé par Paul Gachet fils ; mais celui-ci s’est rétracté ultérieurement, non sans avoir peint lui-même la scène. La quatrième enquête s’attache à une photo de groupe en fête provenant d’une collection new-yorkaise, et au dos de laquelle est imprimée la mention VINCENT VAN GOGH. Malgré l’insistance du propriétaire, et après avoir tenté en vain d’établir la plausibilité de l’évènement, l’auteur conclut par un démenti – avant de jeter le doute sur le revolver rouillé avec lequel van Gogh se serait suicidé, et qui fut vendu chez Drouot pour 162.500 euros…
Il y a du Sherlock Holmes dans la quête d’Y. Vasseur, qui ne se fie ni aux apparences les plus crédibles, ni aux témoignages les plus vraisemblables, ni aux traditions les mieux établies. De soupçon en raisonnement, d’auto-interrogation en consultation de documents, d’interview d’expert en synthèse intermédiaire, il s’efforce d’établir progressivement rien de moins que la vérité vraie. Servi par une érudition foisonnante et par une grande aisance rédactionnelle, il agence le récit de ses investigations avec un art certain, mais sans négliger la rigueur de la démonstration. Historiens, collectionneurs et philologues ne manqueront pas d’y reconnaitre – avec plaisir, n’en doutons pas – leur propre passion, aussi minutieuse qu’insatiable. Certes, comme emporté par sa frénésie, l’auteur verse souvent dans la digression ou l’anecdotique, et sa démarche n’a rien de rectiligne : nombreux détails sur le Passage Saint-Hubert, les grands poètes français présents à Bruxelles entre 1860 et 1880, les allocutions d’André Malraux lors de vernissages, la destinée du piano et de l’harmonium du Dr Gachet, etc. Il se réfère pourtant avec insistance à la méthodologie de la critique historique, opposant les données incontestables aux convictions subjectives ou intéressées, traquant sans pitié les faux de toutes sortes, reconstituant avec patience le complexe puzzle des évènements réels. Le scientifique et le romanesque, en somme, s’entremêlent ici étroitement.
D’où vient le fervent engouement d’Y. Vasseur pour van Gogh ? Le premier est né à Quiévrain en 1951, non loin de Cuesmes où le second avait choisi la voie de la création artistique. Il a sept ans quand son père l’emmène voir l’exposition van Gogh à Mons, où il est sidéré par le Champ de blé aux corbeaux, « peint au couteau » ! Son intérêt pour le peintre est ponctué notamment par un reportage de l’exposition 1980 à Mons, le sauvetage de la maison de Wasmes où il habita en 1878-1879, la mise sur pied de l’exposition La naissance d’un artiste en 2015 dans le cadre de « Mons Capitale européenne de la Culture ». Ainsi la proximité géographique fut-elle le socle sur lequel s’est étayée la passion picturale dont le volume du Fonds Mercator offre une démonstration éclatante… mais où, paradoxalement, le personnage et l’art de van Gogh restent à l’arrière-plan. Car que font ces quatre enquêtes, sinon retrancher des éléments à l’image convenue de l’artiste : plus de photo à treize ans, plus de certitude quant aux deux dessins de Cuesmes, pas de Marguerite à l’harmonium, plus de Vincent sur une photo de fête, pas d’arme du suicide authentifiée. C’est donc un portrait par défaut que nous présente l’ouvrage. Son véritable héros n’est pas van Gogh, c’est Vasseur, l’infatigable suspicieux, l’enquêteur perspicace, l’analyste maniaque, l’affamé de vérité, disons même le justicier… Qu’un peintre mort il y a 130 ans puisse aujourd’hui encore susciter une telle vindicte, c’est là surtout que réside, croyons-nous, le sens et l’intérêt de l’entreprise.
Daniel Laroche