Un conte noir pour les grands

Nadine MONFILS, Le doux murmure du tueur,Mijade, coll. « Zone J », 2021, 224 p., 8 €, ISBN : 9782874230363

monfils le doux murmure du tueurLe doux murmure du tueur, de Nadine Monfils, redonnera le goût de lire aux ados.

Depuis la mort de sa mère, Jack existe à peine aux yeux de son paternel, et avec sa grande sœur, c’est la guerre des tranchées. À part les jeux vidéo et le skate, il n’y a pas grand-chose pour bousculer l’automne qui vient. Pourtant, alors que son amour s’est fracassé une nouvelle fois contre la morgue de Nina, Jack reçoit de sa vieille voisine un livre annonçant l’avenir. Dans quelques jours, Nina fêtera son anniversaire, et si Jack peut se fier à l’étrange grimoire, la belle Nina achèvera là une vie à peine éclose.

Une voisine un peu sorcière, un rat qui parle, un livre hanté… Évidemment, sous la plume de Nadine Monfils, le conte de fées prend des allures de conte glacé. Les méchants loups séduisent leurs proies avec de fins rubans rouges et les petites filles semblent bien décidées à se faire croquer : « Un regard de lui, un geste, et c’était pareil à une baguette magique qui chassait les nuages noirs et faisait jaillir une pluie de paillettes sur le morne quotidien. Avec lui, elle croyait aux contes de fées ». Avec Le doux murmure du tueur, Nadine Monfils s’amuse et son plaisir est partagé. Les ingrédients du récit horrifique ne manquent pas : les coffres recèlent de sombres mystères, les escaliers grincent et la mort rode sous une lune pâle.  Surtout, le récit est mené avec un art consommé du suspense. L’autrice l’assume plaisamment lorsqu’elle évoque le talent d’un confrère : « Chapitres courts, qui laissent le lecteur au bord du précipice, et donnent envie de ne pas lâcher le récit. Efficace ! ». Plus loin, elle ironise franchement : « Il y avait trop de coïncidences dans cette histoire. Trop de mystère. Trop de … ». Le lecteur n’est pas dupe et il se plait à être ainsi mené par le bout du nez. D’ailleurs, ce thriller réjouissant pourrait bien redonner le goût de lire à certains ados. Nadine Monfils y croit puisqu’elle dissémine ici ou là quelques sentences sur le livre, meilleur ami de l’homme : « La théorie d’Emile était que ce n’est pas nous qui choisissons les livres, mais que ce sont eux qui nous choisissent et nous attirent, pour une mystérieuse raison. Ils font partie de notre chemin et peuvent changer notre vie ».

L’éminente polardeuse se serait-elle convertie à la littérature édifiante ? C’est mal connaitre l’autrice, à la plume toujours bien trempée. Voilà ce que donne un échange avec Émile, le nouvel ami de Jack :

– Personnellement, je ne me fie qu’à mon intuition. Mais je ne nie pas que ce genre de phénomène existe. Cependant, je les fuis comme la peste. Bien des délires ont été à l’origine de sauts dans le vide. 
Un autre que lui aurait sans doute dit : t’es teubé, mec ! Pète un coup et va voir chez Picard si j’y suis. Chaque mot chez Émile était de la calligraphie. 

Et ses tirades sur l’amour et ses désillusions ne manquent pas de sel, comme en témoigne celle-ci :

Il y a des choses que l’on dit quand on est amoureux, parce qu’on veut y croire, mais dans le fond, on sait très bien que ce sont des mensonges et qu’un jour, quand on ne sera plus amoureux et quand on ne verra plus l’autre avec les lunettes roses de l’amour, parce que le temps est un rongeur de rêves, on se félicitera de ne pas s’être jeté en bas de la falaise. Jean-Mi, le dieu de la plage, n’en valait pas la peine. Et le dauphin qu’il chevauchait fièrement sur l’eau, devient soudain une bête bouée canard qui fait rigoler tout le monde. 

Le doux murmure du tueur n’a rien d’une bluette ou d’un polar Canada dry… Les éditions Mijade publient un excellent roman noir au style percutant, du Nadine Monfils pur jus !

Marc Wilmotte