Un coup de cœur du Carnet
Thomas LAVACHERY, Le cercle, Esperluète, 2021, 64 p., 14.50 €, ISBN : 978-2-35984-136-7
Libéré enfin des obligations et du jugement des autres, un retraité renoue avec la vie de réjouissante façon.
Dernier de sa fratrie et veuf depuis peu, Henri Juel se retire dans le village de Versol. Son bagage se réduit à quelques vêtements, des livres d’aventure, un peu d’or et ses titres de rente. À soixante ans, il entame une nouvelle vie qu’il espère riche d’explorations à bicyclette et de rencontres. Le pays lui plait « pour sa rugueuse beauté » et l’accueil tout aussi rugueux des habitants ne l’effraie pas. Un café du bourg voisin devient son point de chute : la tenancière a du charme, mais surtout, le manège de quelques messieurs dans un coin l’intrigue. « Avant qu’il ne les eût dérangés par ses rires, les trois types se livraient à des manipulations de croupiers. Ça chuchotait, ça causait par signes… ». Il y a dans les activités de ce cercle comme un mystère que Juel est bien décidé à éclaircir.
Thomas Lavachery fait depuis longtemps le bonheur des lecteurs adultes, néanmoins Le cercle est le premier roman de cet auteur à paraître dans une collection non estampillée « jeunesse ». Ce fin volume bénéficie d’une édition soignée – la beauté, chez Esperluète, se voit et se touche. Et comme toujours, la plume de Thomas Lavachery est impeccable. Tout est ciselé ici et les cinquante pages du récit débordent d’une énergie joyeuse. Le héros se moque de passer pour un original : on le voit nager dans le fleuve – en 1928, la pratique est peu courante – et lorsqu’il enfourche sa bicyclette, Henri Juel se révèle un infatigable trompe-la-mort.
Il se levait aux aurores et roulait des heures, avalant les kilomètres avec une frénésie digne des frères Magne. Partant un jour de chez lui, le lendemain du café, il rayonnait dans la région sans trop étudier la carte, préférant les chemins de hasard aux itinéraires planifiés. Il rentrait à la nuit, harassé, crotté, l’œil brillant. […] Juel cherchait les pentes et les descendait à toute allure, au risque de se rompre les os. Il adorait ça, de même qu’il aimait rouler sous les grêlons ou dans la nuit noire. Chaque journée lui offrait un ou deux instants de transe complète, les atteindre était son objectif secret.
Pour Juel, il s’agit bien de cela finalement : arracher à la vie des moments extraordinaires tout comme les membres du cercle soustraient à la terre leurs « sculptures », ces pierres remarquables rappelant des objets ou des créatures. « Perdues dans la multitude, c’est comme si les sculptures n’existaient pas, jusqu’au jour où un œil exercé les extrait du chaos. Pour Jouclas, Goffre et Worms, il y avait l’ouvrage secret du Temps (orchestré ou non, ils se privaient d’en débattre), et il y avait leur regard pénétrant. L’un et l’autre s’associaient pour créer l’œuvre. »
À force de patience et de bonhomie, Juel a vaincu les réticences du trio qui le snobait à son arrivée. Désormais, il partage la passion de ces esthètes d’un genre nouveau et surtout, leur amitié.
Le cercle, c’est la vie qui explose. Ode au changement, à la disponibilité et aux rencontres, ce roman de Thomas Lavachery offre au lecteur un plaisir rare : la certitude d’avoir intégré une fraternité où il fera bon retourner, souvent.
Marc Wilmotte
En savoir plus
- Thomas Lavachery, un aventurier de l’écriture (Le Carnet et les Instants n°201, 2019)
- Thomas Lavachery : « Nos ados ont droit à la meilleure littérature » (entretien, 22 mars 2020)
- Thomas Lavachery, romancier au long cours, est disponible depuis peu à l’École des loisirs. Ce portrait hors commerce et signé par Sylvie Dodeller est richement illustré. Disponible en téléchargement (PDF)
- Trois livres écrits et illustrés par l’auteur paraissent encore en avril, toujours à l’École des loisirs : Tor et le cow-boy, Lily sous la mer et Un zoo à soi. Ce dernier titre est une édition revue d’Itatinémaux, paru en 2014 aux éditions Aden.