À l’ombre du paperassier

Béatrice LIBERT, Arbracadabrants, Avant-dire d’Éric Brogniet, Taillis pré, 2021, 80 p., 13 €, ISBN : 978-2-87450-176-0

libert arbracadabrantsLe dernier livre de Béatrice Libert, Arbracadabrants publié aux éditions Le Taillis Pré, s’enracine dans une démarche précise, celle d’un exercice de style dont Éric Brogniet révèle la genèse dans son avant-dire éclairant. À partir d’un mot, « larmier », entendu lors d’un atelier d’écriture qu’elle animait, l’auteure, séduite par sa sonorité, imagine une définition poétique et en fait un arbre à larmes. Irrigués par la sève de ce « larmier », les autres textes, suivant le jeu de l’exercice stylistique, découlent presque naturellement pour donner aux boutures imaginées par Béatrice Libert leurs lettres de noblesse.

Ainsi, nous découvrons dans cet herbier personnel, le « limonadier », le « pilulier » ou encore le « romancier », cet arbre à romances qui « supporte tous les climats et surtout celui, qu’on dit feutré, des salons parisiens ». Si l’auteure a déjà usé de la contrainte littéraire, notamment en déclinant les formes fixes proches de celles du haïku dans le recueil L’aura du blanc en 2016, c’est ici une sorte d’excroissance ludique, de rhizome dérivé du texte écrit en collaboration avec la photographe Laurence Toussaint et paru en 2019, Un arbre nous habite. Une écriture à quatre mains qui n’est pas sans rappeler non plus le livre d’artiste, Trognes, réalisé en 2011 aux éditions Tandem, par Caroline Lamarche et Kikie Crêvecoeur autour de 12 silhouettes d’arbres formant calendrier.

La thématique de l’arbre d’ailleurs très présente dans la poésie contemporaine et qui résonne sans doute comme le contrepoint ancestral d’une société qui tremble d’avoir trop négligé ses bois. Une société qui tend aussi à sculpter le tronc de l’arbre à son image. Avec une ironie légère, Béatrice Libert n’hésite pas à égratigner, à gratter la bogue superficielle de l’époque pour en extirper les vanités, pour en dévoiler les absurdités, cela par petites touches parfois mordantes.

Paperassier : arbre administratif
Couramment planté dans les administrations publiques, les ministères, les mutuelles, les syndicats, cet arbuste, étonnamment chétif, fournit pourtant des fruits coriaces : factures, circulaires, feuilles d’impôts, motions, articles de lois, timbres à taxes, tracts, passeports et autres certificats.
Parmi ses inconvénients, outre le fait que le paperassier déteint, on relèvera sa rugosité et sa tendance à l’inflation.

Parallèlement à la critique sociologique, le recueil essaime son arborescence sur d’autres terreaux, mêlant à la malice le plaisir de la recherche stylistique. Un plaisir dans l’écriture communicatif qui donne au lecteur l’envie d’imaginer à son tour son propre verger. Comme le rappelle Éric Brogniet dans la préface, c’est ici « l’arbre qui invente son propre biotope ». Dès lors, le lecteur est non seulement amené subtilement à penser les thèmes abordés mais il devient lui-même créateur de mondes imaginaires. À la fois garde forestier et sylviculteur, le lecteur emboîte, sans hésiter, le pas de la poésie, seule à même de combler les friches de la déforestation. Et de chausser ses bottes à la recherche de nouvelles écorces…

Bottier : arbre à bottines
[…] Grâce à sa formule, à base d’E.P.O., le fruit du bottier permet de se déplacer en un clin d’œil. Du coup, nombreux sont les sportifs qui le réduisent en poudre pour en glisser dans leurs baskets. Ce produit, par ailleurs antitranspirant, peut générer la puissance de deux turbos de F1.
Comme quoi, tout fait bottine au bon boutentrain !

Rony Demaeseneer