Raoul VANEIGEM, Retour à la base, Cactus inébranlable, 2021, 58 p., 8 €, ISBN : 978-2-39049-032-6
Depuis son Traité de savoir vivre à l’usage des jeunes générations paru en 1967, Raoul Vaneigem est une star dans certains milieux universitaires. Sa rencontre avec Guy Debord et sa participation à l’Internationale situationniste pendant la décennie des années soixante l’ont définitivement associé à cette période exigeant de « changer le monde ». Or tout reste à faire :
Religieux ou laïque, de gauche ou de droite, le comportement patriarcal est le pilier de la société hiérarchisée. Il faut, pour l’abattre, abolir le règne des chefs, sans distinction de sexe.
Retour à la base porte très bien son titre. En 21 points parfois sous-numérotés, voici un petit ouvrage d’auto-défense, de lutte et de réinvention qui repart du départ pour relancer la machine à penser et agir. Avec la même verve révolutionnaire, dans le même style lapidaire, par la même utopie politique, l’auteur rappelle façon mégaphone que seule la connaissance nous rendra tous égaux, libres et heureux.
La paupérisation qui menace la course à la consommation provoque le retour du puritanisme sous sa forme particulièrement vicieuse : la peur et le mépris de la vie.
La lecture de ce recueil donne un triple vertige. (1) Sans rien modifier du tout à la forme littéraire initiale, l’auteur met très facilement à jour son discours soixante-huitard aux toujours plus urgentes injonctions du jour. (2) Du coup, sa virulence est aussi rafraîchissante que, malheureusement, passée. C’est un second malaise car rien, absolument rien n’a manifestement bougé sur le terrain, sinon pour le pire, bien pire. (3) Dernier tourment assénant l’échec : quel public reste-t-il pour lire ceci noir sur blanc, lorsqu’on sait que ce dernier a massivement fui du réel au virtuel ? N’entend-t-on pas d’ici ses réactions, les uns citant Pierre Richard dans Les vieux fourneaux, les autres réagissant d’un insolent « OK Boomer ! »
L’intrusion d’un virus a dévoilé le cynisme des groupes de pression pharmaceutiques et médicaux. On les savait moins soucieux de soigner les humains que d’engranger les bénéfices d’une morbidité dont la presse oligarchique et ses compteurs de la mort trafiquée amplifiaient la hantise.
On ne fait pas la révolution à deux-trois pelés, et encore moins tondus confinés. De sorte que ce texte, aussi moderne, vraiment moderne ! que caduc en sa forme, n’est pas, n’est plus, ne peut plus être d’aspiration politique. Il est une œuvre désespérée et strictement artistique… situationniste, c’est-à-dire une action à un moment précis de l’histoire. Sa publication par les impertinentes éditions du Cactus inébranlable confirme ce goût et ce choix de fondre le discours à la méthode artistique.
Nul besoin d’apocalyptisme pour comprendre que nous sommes au cœur d’une mutation de civilisation. Si tout change de base, cela signifie aussi que les décisions à prendre en matière d’environnement relèvent exclusivement des assemblées communales et régionales et n’ont que faire de référendums patronnés par l’État pollueur.
Grâce à Raoul Vaneigem, soixante années, 1960 – 2020, se télescopent en un large geste sanitaire et solidaire : un poing levé, fondateur et provocateur. Malheureusement, ce poing s’est révélé inoffensif et n’est jamais devenu depuis lors, qu’un doigt levé, grossier, solitaire et nocif.
Tito Dupret