Barrack RIMA, Dans le taxi, Alifbata, 2021, 96 p., 18 €, ISBN : 9782955392898
Exil forcé ou volontaire, exil nécessaire. Oui, on part pour ne pas suffoquer. Mais il y a des champs de bataille à traverser.
Au Liban, le taxi est collectif. Entre passagers et chauffeur, les discussions vont parfois bon train, dans ce qui devient un lieu public ambulant, espace de vie et de rencontres éphémères. Barrack Rima a choisi d’y planter la trame de son histoire pour mieux parler de Tripoli, sa ville natale.
Ce bédéaste bruxellois né au Liban en 1972 quitte son pays et suit des études à l’Académie Royale des Beaux-Arts à Bruxelles en 1991, puis poursuit sa formation en étudiant le cinéma à l’IAD. Il fait partie du collectif Samandal, primé au festival d’Angoulême en 2019. Après avoir raconté la capitale libanaise dans Beyrouth, la trilogie, il consacre cette fois un album de bande dessinée à la ville qui l’a vu grandir. Comment parler d’un lieu qu’on a quitté, peut-être même fui ? Rima raconte cette ville dans un récit dense, qui mêle la dimension historique de la ville à son enfance, entre rêve et autofiction. Dans le taxi mêle passé et présent tout au long d’un récit poétique, aux contours flous, et où l’on pressent que tout n’est pas dit. Le temps d’une course en voiture, des passagers montent et descendent, se croisent, se parlent. Ils symbolisent différentes facettes de la ville, et évoquent des thèmes tels que l’ailleurs et le statut de réfugié, le genre et la sexualité. Parmi les différents clients du taxi, apparaissent des figures du passé : le père, mais aussi le narrateur enfant, qui porte les chaussures de sa mère, provoquant l’ire paternelle. L’inconscient de l’auteur semble guider la narration, notamment à travers un rêve, dont l’ombre plane sur l’ensemble du récit qui déroute, où s’entrecroisent le réel et l’irréel dans un brouillard insaisissable.
Des moments de la vie de l’auteur sont racontés comme des emblèmes de ce lien qui l’unit à la ville. C’est que le lieu qu’on a quitté ne s’efface jamais, ramenant sans cesse à un passé qui nous constitue.
Quand on quitte un endroit, on devient l’étranger. Étranger d’où l’on part et où on arrive, étranger où on ne cesse de revenir. Entre ici et là-bas, on titube, on hésite, on tangue…
Le noir des dessins à l’encre ou des collages confère au livre une sobriété et une unité qui tempère l’aspect multifacette de l’album. Ce récit intimiste est publié chez Alifbata (les premières lettres de l’alphabet arabe), une maison d’édition marseillaise spécialisée en livres graphiques du monde arabe, qui diffuse des œuvres aussi riches en créativité que trop peu connues dans nos contrées. Gageons que d’autres œuvres puissantes se cachent dans leur catalogue…
Fanny Deschamps