Clarisse DERRUINE, Décomposition, Ker Éditions, 2021, 132 p., 12 €, ISBN : 9782875862969
Dans Décomposition, Clarisse Derruine nous donne à lire une dystopie qui se déroule dans une ville fictive et s’étend sur plus d’une dizaine d’années. Le monde tel que nous le connaissons est atteint par un mal singulier : une colonie de champignons envahit le pays et s’infiltre partout dans les lieux publics, mais aussi les foyers.
Nous découvrons les dégâts de ce « sinistre végétal » à travers le regard de Silvio, qui a huit ans au début du récit. Passionné de botanique, il observe la déliquescence d’un univers familier avec sa sœur et ses amis. Chaque jour offre son lot de découvertes : fermeture des frontières, effondrement des immeubles, arrêt des télécommunications, délitement du lien, exodes…
– Je ne sais pas si on aurait pu l’éviter, ou même le prévoir. Certaines spores survivent des dizaines de siècles dans l’attente de conditions climatiques favorables. Ensuite seulement, elles se développent, parfois très longtemps après la génération qui les a engendrées. Cela faisait peut-être un moment que le monde végétal attendait à la lisière de nos villes. […]
– Je ne sais pas. Peut-être. Le truc, c’est que, quoi qu’il arrive, retrouver une situation stable, ce n’est plus vraiment possible. Nos maisons sont devenues fragiles en même temps que la société. Chaque événement géologique ou climatique a aujourd’hui des conséquences bien plus dramatiques. Une faible secousse sismique, une tempête venue du grand Nord, et c’est un immeuble qui s’effondre, une façade qui se décroche, un pont qui s’écroule.
La vie quotidienne est désormais orientée vers la survie et l’adaptation face à un nouvel écosystème qui se met en place : il s’agit de cheminer dans des allées chaudes et organiques, de se protéger des moustiques et des chauves-souris.
Outre son imagination fertile qui mêle habilement ses connaissances de la nature et l’architecture, Clarisse Derruine nous invite à nous questionner sur le réchauffement climatique et ses promesses de ravages pour l’être humain. Que sommes-nous prêts à accomplir pour affronter la transition compliquée qui se profile ? Nous résigner ou résister ? Agir ou ne pas agir ?
Décomposition suscite un bel écho à la pandémie que nous vivons car l’homme s’y retrouve face à un univers incertain dont il a créé toutes les conditions, le temps est venu de tirer les conséquences de ses actes. Ce roman nous fait palper à travers un style travaillé et organique une atmosphère d’apocalypse lente et nous offre par ailleurs un autre regard sur le monde du vivant. Il nous rappelle le rapport de force immanent à la nature, la solitude ontologique de l’être humain et nous interroge sur la transmission des erreurs du passé.
– Comment dire… Lorsque les champignons colonisent les racines des arbres auxquels ils s’associent, on sait que le réseau formé bénéficie aux deux espèces. Tu te dis que c’est bien fait, cette entraide naturelle, non ? Mais ce qu’on ne voit pas, c’est que la frontière entre symbiose et parasitisme est mince. Souvent, la relation oscille entre ces deux états au fil de son développement. Mais ce sont toujours les champignons qui gardent le contrôle. Si ça les arrange, ils affaiblissent la plante jusqu’à la mort. Ils sécrètent des protéines qui la manipulent en ce sens. […] Imagine si parmi eux, il y a une espère fongique qui… Peut-être que ça l’arrangerait qu’on abandonne.
Décomposition a obtenu le Prix Laure Nobels en 2021.
Séverine Radoux